Le lauréat

Avec sa lettre de candidature adressée aux Français au travers de la presse régionale, Emmanuel Macron est enfin sorti de la clandestinité, in extrémis, au dernier jour de la date limite prévue par les institutions, mais pas de l’ambigüité. Cette missive tient à la fois de la lettre de motivation que l’on rédige pour postuler à un emploi, en l’occurrence celui de la magistrature suprême, et d’un CV qui ne comporterait qu’une seule ligne, celle d’un quinquennat exagérément mis en valeur, avec ce soupçon de fausse modestie destiné à le rendre crédible. Genre : mon principal défaut ? Un peu trop perfectionniste, peut-être ?

L’équation semble impossible. Comment un être humain, même doté d’une grande force de travail et de peu de besoins de sommeil pourrait-il se donner à 100 % à sa tâche de président de la République, tout en animant et en impulsant des directions à la communauté européenne dont il a la charge pour 6 mois et mener une campagne électorale active, dynamique et proche des Français ? D’autant plus qu’il va devoir convaincre qu’il peut faire la même chose en mieux qu’au cours du quinquennat précédent, avec la question inévitable : pourquoi avoir attendu 5 ans pour donner la priorité à l’école et prendre toutes les mesures sociales nécessaires dans les différents domaines ? Il n’aura plus l’avantage de la nouveauté. Les recettes sont éventées, et il risque fort d’être réélu par défaut, faute de mieux, en raison des circonstances.

Comme s’il se doutait que le genre épistolaire n’était plus d’un modernisme à tout crin, le Président a cru bon d’accompagner sa missive d’un document vidéo plus dans l’air du temps, sous forme d’une minisérie, dernier avatar du roman-feuilleton qu’on suivait jadis dans les chaumières, et dont le premier épisode s’intitule judicieusement « le candidat ». Un titre qui m’a renvoyé immédiatement au film de 1967 qui a révélé Dustin Hoffman, le Lauréat. La bande-son est restée célèbre elle aussi grâce à la chanson Mrs Robinson interprétée par Simon et Garfunkel. Le film avait fait scandale parce qu’il mettait en scène la liaison entre un jeune bachelier de 21 ans et une femme mariée ayant le double de son âge. Toute ressemblance avec des personnes existantes ou ayant existé ne peut évidemment être que fortuite, puisque Emmanuel Macron n’était même pas né à l’époque du film. Bien qu’il se méfie comme la peste de toute forme de triomphalisme, le meilleur moyen de perdre une élection qui semble gagnée d’avance, j’imagine que le président serait prêt, in petto, comme il aime à le dire, à interpréter un remake du Lauréat, au moins pour le titre. Car, dans le film, le Lauréat finit par épouser la fille de Mrs Robinson, qui a le même âge que lui, la morale puritaine est donc sauve.