À un camarade syndiqué

Il se reconnaitra, si toutefois il a connaissance de ces modestes réflexions. Son organisation se présente comme la plus représentative du pays et elle se targue d’avoir une attitude « constructive », en préférant toujours le compromis à la confrontation directe. Une politique des « petits pas » qui a montré ses limites à de nombreuses reprises et qui a conduit Nicolas Hulot, dans un autre domaine, à démissionner en constatant que les dossiers environnementaux n’avançaient pas.

Il est possible qu’il obtienne satisfaction, ou qu’il se contente d’une avancée minime sur la question du financement de la réforme des retraites, lui permettant de se rallier au projet gouvernemental, largement inspiré par son syndicat. Le fond de la question n’en sera pas résolu pour autant. Ce qui intéresse chaque Français est finalement très simple. Combien toucherai-je une fois en retraite et à quel âge pourrai-je en bénéficier ? Si l’on change de système, est-ce que j’y gagnerai, ou est-ce que j’y perdrai ? À ces questions légitimes, le gouvernement répond qu’il est nécessaire de bouleverser les règles pour assurer une égalité absolue entre les citoyens et abolir les privilèges d’une petite partie de la population. C’est bien aussi ce qui motive l’organisation à laquelle appartient le camarade précité. Et, au fond, je pourrais moi-même y souscrire, à condition de définir avec précision ces deux concepts d’égalité et de privilèges.

Prenons par exemple la différence de retraites entre les hommes et les femmes. Au nom de l’égalité, elle devrait disparaître. Si l’on commençait par payer au même niveau les personnes occupant les mêmes postes indépendamment de leur genre, une partie non négligeable des différences serait supprimée. Mais des mesures de compensation resteraient nécessaires pour tenir compte des spécificités de la condition féminine, telles que les grossesses ou les carrières courtes, ou l’accès à des fonctions mieux rémunérées. Ne serait-ce pas là, d’ailleurs, que réside la plus grande inégalité, à laquelle les tenants de la retraite universelle devraient s’attaquer en priorité ? Qui est réellement privilégié dans ce pays ? Un conducteur de train ou de rame de métro, parce qu’il pourrait partir plus tôt en retraite, ou un patron du CAC 40 qui bénéficie d’une retraite chapeau indécente, sans même parler de tous ses autres avantages ? Et pourquoi faudrait-il enlever au premier pour permettre au second d’emmagasiner davantage ? Ne serais-tu pas, cher camarade, en train de te tromper d’adversaire ? Le fameux régime que le gouvernement veut imposer aux Français, et aux forceps, n’a plus d’universel que le nom. Les exceptions sont en passe de devenir la règle et l’égalité brandie n’est plus qu’une illusion. Il reste une pilule à faire avaler, un placébo qui ne résout rien et une stratégie, qui, à terme, cher camarade, est suicidaire.