« Justice » numérique

Un hacker, sorte de petit génie de l’informatique, a réussi en quelques heures à identifier les auteurs d’une vidéo qui circulait sur Internet et les montrait en train de violer une adolescente dans une cage d’escalier en région parisienne. Il a aussitôt publié les coordonnées de ces deux mineurs âgés de 16 ans, comme la victime, et ainsi permis leur arrestation. Ce simple fait-divers ouvre un univers d’interrogations sur l’organisation de notre société moderne. En premier lieu, la banalisation d’un viol, crime particulièrement grave, dont on a fait un objet de voyeurisme.

Les deux auteurs présumés des faits, puisqu’à ce stade leur culpabilité n’a pas encore été établie, seraient donc à la fois satisfaits et fiers de leur méfait, au point de s’en vanter publiquement, et suffisamment stupides pour s’incriminer eux-mêmes, en diffusant les preuves de leur forfait. Ensuite, il est navrant que la police n’ait pas été en mesure d’identifier elle-même la provenance de la vidéo et de débusquer les criminels qui en étaient les auteurs. Il aura fallu l’intervention d’un « grand frère », un caïd de quartier, pour amener les deux jeunes à se présenter « spontanément » au commissariat pour y être placés en garde à vue et mis en examen. Soit la police ne dispose pas des outils et des compétences nécessaires à ce type d’enquête, et dans ce cas il serait urgent de l’en doter, soit leur charge de travail est trop importante pour permettre une action rapide, telle qu’un simple amateur a pu la réaliser, ce qui est non moins problématique.

On sait bien que la défaillance réelle ou supposée de la justice peut amener à des formes dangereuses pour la démocratie. Le hacker, en toute bonne foi probablement, a mis en cause publiquement des personnes, sans avoir qualité pour le faire. C’est la porte ouverte à l’autodéfense et à la justice expéditive chère à Monsieur Lynch. En cas d’erreur ou de malveillance, les conséquences peuvent en être très graves. On connait les ravages que peuvent causer le tribunal médiatique et les accusations sans preuve. Resurgit également le dilemme permanent entre liberté de l’Internet et diffusion de contenus contraires à la loi ou plus simplement, sous couvert de dénonciation vertueuse, d’apologie de crime, le viol en l’occurrence. La vidéo originale a été depuis retirée des réseaux sociaux, mais des copies peuvent encore circuler. Quant au hacker, un adolescent de 16 ans lui aussi, originaire de Besançon, il s’est exprimé publiquement sur France Info, en reconnaissant avoir commis un acte illégal, en piratant une base de données, mais se justifiant par le résultat. Drôle de société quand même que celle où les citoyens se croient obligés d’endosser le costume de Zorro pour faire triompher le bien.