Misère !

« Sur des paroles de Jean-Louis Chautard et Gérard Grandjean et une musique de Pierre Bénichou et Marie Grospierre », Coluche nous chantait la dénonciation de la misère par ceux que l’on appellerait aujourd’hui des bobos droits-de-l’hommistes. Si l’envie saugrenue vous venait de donner quelques piécettes au SDF qui fait la manche au coin de la rue, méfiez-vous. Cela peut vous coûter cher. C’est la mésaventure arrivée à un Toulousain qui a écopé d’une amende de 100 euros pour avoir donné 70 centimes à une mendiante dans la gare de Matabiau.

J’avoue que je suis tombé de l’armoire. Alors que la mendicité n’est plus un délit depuis 1994 et qu’elle ne peut plus être interdite que si elle constitue un trouble à l’ordre public, j’apprends que celui qui fait acte de solidarité est lui-même en infraction. Les policiers de la brigade ferroviaire lui ont dressé un procès-verbal pour « sollicitation de toute nature ». Le donateur est donc considéré comme incitateur de l’infraction. Cela rappelle fâcheusement les poursuites contre certains habitants de Calais coupables d’offrir un repas et une douche à des migrants, ou à ceux de la vallée de la Roya pour avoir transporté des personnes en perdition à la frontière franco-italienne. On commence à être malheureusement habitués à la traque des personnes sans ressources et sans domicile, notamment par des arrêtés municipaux anti-mendicité dans les régions touristiques à l’approche de la saison. On a vu aussi se multiplier les « défenses » destinées à empêcher les clochards de stationner ou de se reposer dans les espaces publics. Mais j’ignorais que le fait de donner la pièce à qui la demande soit considéré comme un délit, au même titre qu’un client qui encouragerait la prostitution.

Si l’état faisait tout ce qu’il peut pour venir en aide aux personnes réduites à vivre dans la rue pour des raisons diverses, on pourrait comprendre qu’il utilise un volet répressif, et encore faudrait-il qu’il conserve une part d’humanité et de compréhension des situations individuelles. Faute de pouvoir éradiquer la misère, il préfère s’en prendre aux misérables, selon le titre du film qui sort cette semaine, de la même façon qu’il réduit les droits des chômeurs à défaut de faire baisser drastiquement le chômage. L’histoire de Toulouse va finalement bien se terminer. Alertée par un article de presse, la direction régionale de la SNCF va contacter son client pour s’excuser de l’excès de zèle de ses policiers, mais seule la publicité négative pour l’entreprise, à un moment particulièrement délicat où des mouvements sociaux l’agitent, explique ce revirement. La mendicité continue à choquer le bourgeois, comme dans la chanson d’un autre trublion, Boby Lapointe :

« Le Lundi je mendie

Le mardi je mendie

Et l’mercredi, et le jeudi

Le vendredi, le samedi

Mais quand qu’c’est qu’c’est dimanche

J’paye un croissant au chien »