Une dérive raciste sournoise
- Détails
- Catégorie : Diabloguiste
- Publié le vendredi 24 janvier 2025 11:17
- Écrit par Claude Séné
La pratique nous vient, comme souvent, des États-Unis. En franchissant l’Atlantique, elle ne s’est pas affranchie des problèmes potentiels qui caractérisent les risques d’une civilisation qui s’est construite sur des inégalités flagrantes liées à la couleur de peau ou le statut social. Au point que des études sérieuses font état d’une « ubérisation » de la société, en France et en Europe. Les travailleurs de ce secteur ont eu le plus grand mal à se faire reconnaitre comme des salariés de fait des plateformes qui les emploient, tout en les obligeant à se déclarer fictivement comme auto-entrepreneurs.
Des incidents récents ont démontré une nouvelle fois que les livreurs de Deliveroo ou UberEats, deux des principaux employeurs du secteur de portage des repas à domicile, étaient pieds et poings liés devant leurs clients. Non seulement certains d’entre eux peuvent impunément insulter les livreurs à la moindre contrariété, ou retard, mais ils se prémunissent de tout recours en accusant les salariés de les avoir agressés. C’est alors parole contre parole, et les véritables victimes rechignent à porter plainte, car il faut perdre plusieurs heures au commissariat, sans garantie d’être cru, faute de preuves formelles. Un exemple des insultes à caractère raciste en fin d’année 2024, juste avant le Réveillon, je cite : « sale race, sale arabe, cassoc’ (abréviation de cas social), rentrez chez-vous… » Cette fois le livreur, soutenu par une organisation syndicale, a fait appel auprès de Uber, qui l’avait suspendu en bloquant son compte, ce qui l’empêche de travailler, et a obtenu une indemnisation partielle de sa perte de revenu. La partie est clairement déséquilibrée. Le client risque, au pire, de ne plus pouvoir commander sur la même plateforme, tandis que le livreur est réduit au chômage technique, selon le bon vouloir d’un client qui peut être de mauvaise foi.
Car c’est structurellement que les prestataires de service, du type chauffeur d’un véhicule VTC, sont soumis à l’appréciation des clients qui sont invités à noter le service rendu, et donc la personne qui les a véhiculés. Il s’agit en somme d’une résurgence de l’ancien pourboire, qui permettait d’exprimer sa satisfaction ou non à l’égard de l’employé, en plus sournois. La notation, dont dépend directement la rémunération devient ainsi un outil de discrimination sociale. Au départ le principe semble louable, car il amène les professionnels à rechercher l’excellence, mais il ouvre aussi la voie à l’arbitraire le plus complet, où le délit de faciès s’inscrit tout naturellement. Il ne saurait remplacer toute forme de régulation sociale, en introduisant des lois destinées au marché, celles de l’offre et la demande, au détriment de la cohésion et de la qualité de la vie en société. Ce sont pour les mêmes raisons qu’il me parait malsain d’établir sans arrêt des classements dans tous les domaines, sachant que seuls les privilégiés pourront se payer le luxe de choisir.