Trafic d’influence

Jusqu’à un passé récent, mais qui nous semble déjà lointain, le trafic d’influence n’était rien d’autre qu’un délit réprimé par le Code pénal, passible de dix ans d’emprisonnement et d’une amende d’un à deux millions d’euros, voire plus en cas de profit supérieur. Depuis le développement massif des réseaux sociaux et leurs conséquences sur la vie quotidienne de nombreux adeptes, est apparue une nouvelle profession, celle d’influenceur, qui permet à certains individus de gagner largement leur vie en faisant part de leurs préférences dans des domaines variés et d’importance très inégale. Cette évolution fait désormais partie du paysage et incite la masse à suivre, parfois sans s’en rendre compte, les prescriptions mercantiles de ces nouveaux gourous.

L’affaire a pris une tournure nouvelle avec l’irruption de ces pratiques dans le domaine politique. Pas de campagne électorale sans un volet numérique plus ou moins important. Il se dit, et ce n’est sans doute pas faux, que la victoire de Donald Trump s’est décidée par le bouche-à-oreille moderne, sous forme d’influence exercée sur les électeurs notamment sur le réseau social le plus important, X, anciennement Tweeter, qui est la propriété d’Elon Musk, lequel n’a pas fait mystère de son soutien au candidat républicain. Trump lui-même, qui a récupéré son compte X, un temps fermé, dont il a fait abondamment usage pour diffuser ses positions réactionnaires en profitant d’une « liberté d’expression » cachant très peu une propagande éhontée en sa faveur, a créé et développé son propre réseau, Truth social, pour promouvoir sa vérité, un ramassis de bobards, de théories du complot et de dénigrement de ses adversaires.

Le pire, c’est que ça marche plutôt bien, surtout sur un public peu diplômé. Autrefois, les gens qui ne disposaient que de peu de sources d’information affirmaient : « c’est vrai, puisque je l’ai lu dans le journal ». De plus en plus, ce sera en vertu des opinions relayées et renforcées par des algorithmes soigneusement calculés pour servir des intérêts particuliers. Il n’existe pratiquement pas de garde-fous pour contenir ces outils de désinformation massive, les « libéraux » qui détiennent ces réseaux se refusant à réguler leur contenu, au nom d’une liberté d’expression galvaudée et permettant la calomnie, le mensonge ou la médisance sans contrepoids ni contrôle. Et nous n’en sommes qu’au début. Par chance, un homme comme Elon Musk, malgré son immense fortune, plus importante que le PIB de nombreux états, ne peut pas accéder lui-même au pouvoir suprême, n’étant pas né aux États-Unis. Il doit se contenter d’être faiseur de roi. Je terminerai par cette mutation inquiétante qui voit trois propagandistes être jugés en France pour apologie du terrorisme et incitation à la violence, tout en étant qualifiés d’« influenceurs » comme s’ils avaient recommandé une marque de pizzas. Cette banalisation en dit long sur l’état de notre société.