La droite Gribouille

Alors que le PS, le PC et les écologistes attendent un geste du Premier ministre dans son discours de politique générale prévu demain pour se déterminer sur une non-censure éventuelle, la droite dite républicaine a fait savoir que cette ouverture à gauche serait considérée comme une rupture du contrat de gouvernement qui a été constitué par François Bayrou avec leur participation. Deux hypothèses sont possibles dans ce cas. Les Républicains se joignent à une motion de censure d’un autre parti, ou en déposent une à leur nom, ou bien les ministres de droite démissionnent en bloc, obligeant ainsi à un remaniement conséquent. Dans les deux cas, tel Gribouille, ils provoquent eux-mêmes l’évènement qu’ils disent vouloir éviter.

Pour sortir d’une telle contradiction, il n’existe qu’une ligne de crête, et elle est très étroite, par définition. Le Premier ministre va devoir éplucher son Petit Larousse et son dictionnaire des synonymes pour trouver un équivalent acceptable au mot que le Premier secrétaire du PS attend de son discours, celui de « suspension », tout en rassurant Gérard Larcher et ses amis sur le maintien des dispositifs principaux de la réforme. Le français étant une langue très riche et pleine de nuances, l’exercice est difficile mais pas impossible. Il y faut surtout une condition, c’est un accord sur l’acceptation du sens que donnera chaque interlocuteur au vocable retenu, en feignant de croire qu’il est le même pour tout le monde. Qui sait, « sur un malentendu, ça peut marcher ». Parmi les formulations possibles, on notera avec intérêt celle utilisée par Yaël Braun-Pivet, la présidente de l’Assemblée nationale, qui s’est dite « ne pas être opposée par principe à arrêter brièvement la réforme des retraites ». Chacun pourra tenter d’y retrouver ses petits.

Mais surtout, cette macroniste de la première heure reconnait explicitement que cette réforme est profondément injuste, et qu’elle devrait être « améliorée », notamment en ce qui concerne la situation des femmes, dont la retraite est dramatiquement insuffisante dans de nombreux cas. Parbleu ! mais c’est bien sûr ! Voilà longtemps que les féministes, et une partie des autres réclament une égalité réelle des salaires, qui entraînerait mécaniquement une hausse des pensions calculées sur le revenu des actives, sans préjudice de mesures spécifiques. Que n’a-t-elle défendu cette position pour convaincre ses amis dans son propre parti quand il en était encore temps, pour bloquer une loi scélérate dont les Français ne voulaient pas, adoptée sans vote par 49,3 ? Il reste que François Bayrou n’en est qu’au début du parcours d’obstacles similaire à celui d’un concours hippique. Il devra affronter ensuite le gros morceau du budget 2025 et celui du financement de la Sécurité sociale, qui a fait chuter son prédécesseur, Michel Barnier. Et il sait que la moindre barre manquée sera synonyme d’élimination.