Le Bon Dieu sans confession

C’est ce que l’on donnerait sans hésiter (si c’était en notre pouvoir) au sympathique Thibaud Simphal, manager général d’Uber pour la France et l’Europe de l’Ouest, un garçon propre sur lui, bien élevé, cultivé, qui sort sûrement des meilleures écoles, plusieurs années en droit, et le reste de travers, le gendre idéal en somme, une sorte de clone d’Emmanuel Macron dans son domaine. Et pourtant, c’est un avatar du loup de Wall Street, bien que la startup ne soit pas cotée en Bourse.

À sa manière, il n’a rien à envier aux anciens maitres de forges, dont les descendants dominaient encore récemment le MEDEF à la manière du baron Ernest-Antoine Seillière de Laborde. Seul l’uniforme a changé. Là où le capitaliste standard arborait les insignes de sa charge, queue-de-pie, haut-de-forme huit-reflets et gros cigare de La Havane, le manager moderne opte résolument pour le col ouvert et parfois le mohair sur les épaules. Mais qu’on ne s’y trompe pas, c’est un tueur. Il a adopté sans complexe le vocabulaire de la droite conservatrice en qualifiant les chauffeurs de VTC qui tentent de gagner leur vie malgré les conditions draconiennes de celui qui refuse d’être leur employeur, de « casseurs qui prennent le pays en otage ». Le refrain est bien connu, il s’applique indistinctement à tous les mouvements de revendications sociales. Les données du problème sont simples. Uber est la plus grosse plateforme de réservation de véhicules avec chauffeur. Il abuse de sa position dominante pour imposer des conditions de rémunération aux conducteurs qui ne leur permettent pas de gagner décemment leur vie, même en travaillant 70 heures par semaine. Il vient notamment de relever de 20 à 25 % la commission prélevée sur chaque course.

En guise de carotte, Uber a lâché dans la négociation la création d’un fonds de solidarité pour les chauffeurs en difficulté de 2 millions, une misère pour une société valorisée à hauteur de 69 milliards de dollars. Un géant ? Oui, mais un colosse aux pieds d’argile, car Uber a perdu 2 milliards en 2015 et il va en perdre encore 3 cette année. Il veut le leadership mondial et ça passe par des investissements coûteux dans tous les pays, notamment en Asie. Alors, pas question de céder le moindre euro dans les deux seuls pays rentables pour l’instant : la France et les États-Unis. La manœuvre est classique : accepter de perdre aujourd’hui pour rafler la mise demain et imposer sa loi monopolistique. Et qu’importe si quelques salariés doivent en faire les frais, ce n’est pas ça qui empêchera Thibaud Simphal de dormir, je vous rassure.

Commentaires  

#1 jacotte 86 21-12-2016 11:13
il y a de quoi éprouver une colère légitime contre ce système qui appauvrit les pauvres et enrichit les riches mais je ne sais pas quoi faire de ma colère qui va pourtant m'habiter un moment!!
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