Rase campagne
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- Catégorie : Diabloguiste
- Publié le samedi 19 novembre 2016 10:33
- Écrit par Claude Séné
Il faut savoir terminer une grève, avait dit Maurice Thorez en juin 1936. Les salariés d’I-Télé, après 31 jours de grève, ont fini par voter la reprise du travail, la mort dans l’âme, sans avoir réussi à obtenir satisfaction sur les principaux points qui motivaient leur mouvement. La direction, représentant l’actionnaire principal, Vincent Bolloré, n’a pratiquement rien lâché sur le fond, se contentant de faciliter le départ volontaire des journalistes contestataires. À l’arrivée, elle obtient ce qu’elle voulait : 35 journalistes sur 220 vont quitter volontairement la rédaction, ce qui couvre la moitié des suppressions de postes annoncées.
Après ce bras de fer, Bolloré escompte vraisemblablement une rédaction plus souple, plus à sa main (de fer, sans gant de velours), pour faire une information aux ordres de la direction dans la chaîne qui s’appellera désormais CNews. Le symbole de cette reprise en main, c’est le maintien contre vents et marées de Jean-Marc Morandini, sulfureux animateur contesté par les grévistes, sous le coup d’une mise en examen pour corruption de mineurs aggravée, absent de l’antenne pendant le conflit par manque de moyens techniques, et qui reviendra très prochainement. Après une audience de curiosité pour sa première prestation, sa case ne fait pourtant pas vraiment recette en attirant trois ou quatre fois moins que la concurrence sur LCI ou BFMTV. Il faut croire qu’il a d’autres qualités aux yeux de la direction, comme celle de ne pas se mettre en grève, par exemple.
Les seules concessions obtenues par les grévistes sont la création d’une charte d’indépendance et d’un comité d’éthique, qui auraient dû être installés de toute façon en application d’une loi en cours de promulgation. Car I-Télé n’est pas une exception dans le paysage audiovisuel français. La plupart des grands médias appartiennent à des industriels, des entrepreneurs, qui n’avaient pas forcément vocation à l’origine à devenir des patrons de presse et qui voient dans cette activité le moyen de contrôler la communication, voire de la détourner au profit de leurs autres activités. Vincent Bolloré est aussi le patron de Direct Matin, un journal gratuit qui n’hésite pas à faire la publicité des voitures électriques vendues par l’industriel. Ce qui explique qu’il n’a pas l’intention de se séparer de cette chaîne d’information continue, malgré son déficit chronique, mais de tailler dans la masse salariale pour conserver à moindre coût un outil d’autopromotion, sans jeu de mots. Il a refusé une offre de ses concurrents, Mathieu Pigasse et Xavier Niel, qui possèdent déjà Le Monde et l’Obs, de racheter I-Télé, preuve de l’intérêt stratégique d’une chaîne d’information continue. À travers cette défaite en rase campagne des salariés d’I-Télé, c’est toute la question de l’indépendance de l’information qui est posée.