Bancs publics

En 1953, Georges Brassens chantait les amoureux « qui s’bécotent sur les bancs publics », une chanson inspirée des personnages de Peynet, alors très en vogue, et composée pour le film d’Yves Robert, « Les hommes ne pensent qu’à ça ». Et à cette époque, le poète remarquait que les passants honnêtes regardaient de travers les amoureux, parce qu’ils osaient faire en public ce qu’ils considéraient devoir être caché et réservé à l’intimité. Ils s’attiraient ainsi toute la hargne de la « Sainte Famille Machin », outrée en apparence de leur comportement, mais surtout jalouse de leur amour affiché.

En 60 ans, on a l’impression que la société s’est décoincée, et l’on imagine qu’un couple qui s’embrasse dans la rue n’attire en aucune façon l’attention de qui que ce soit. Détrompons-nous. Ce qui s’est produit samedi dernier près du centre commercial de la Part-Dieu à Lyon montre qu’une partie de la société a adopté une vision rétrograde. En effet, un couple d’une quarantaine d’années a été pris à partie à l’arrêt du bus par un groupe de jeunes qui n’appréciaient pas qu’ils s’embrassent en public. Aux insultes succèdent les menaces, au point qu’un jeune homme décide de s’interposer et de prendre la défense des innocents tourtereaux. Mal lui en prend. La dispute dégénère en bagarre, des coups sont échangés. Quand le bus arrive, le couple et son défenseur y montent sans remarquer la présence d’un de ses agresseurs. Celui-ci va frapper violemment le jeune homme à l’aide de béquilles et le laisser dans le coma avant de s’enfuir. Il est toujours dans un état grave et son agresseur a été arrêté après identification par les caméras de surveillance. C’est un mineur de 17 ans en rupture de ban familial, qui dit avoir agi par colère et esprit de vengeance.

J’ignore tout de ce garçon, à part qu’il vient d’une banlieue populaire de Lyon, Vaulx-en-Velin, dans laquelle de violents incidents et même des émeutes se sont déroulés en 2000 et en 2010. Cependant, je ne peux pas m’empêcher de faire un rapprochement avec les brigades des mœurs instituées dans certains pays musulmans, notamment en Iran, destinées à dénoncer tout comportement, y compris vestimentaire, non conforme à une loi islamique appliquée aveuglément. Cette composante religieuse puritaine semble avoir gagné la plupart des quartiers difficiles. Les jeunes filles en sont réduites, quand elles ne portent pas les vêtements traditionnels, à se cacher sous d’informes survêtements pour ne pas être soupçonnées d’aguicher les hommes, et il est hors de question ne serait-ce que de se tenir par la main avant le mariage. Pour moi, pourtant, les amoureux ont toujours « des petites gueules bien sympathiques », n’en déplaise aux ayatollahs.