Broyé par le système
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- Catégorie : Diabloguiste
- Publié le lundi 31 octobre 2016 10:59
- Écrit par Claude Séné
C’est habituellement une simple formule destinée à imager une situation où l’individu est désarmé devant la toute-puissance d’un état. Cette métaphore s’est malheureusement réalisée dans toute son horreur au Maroc quand un marchand de poisson ambulant a été happé par la benne à ordures en train de compacter le produit de sa pêche. Le poissonnier avait voulu récupérer sa marchandise promise à la destruction, car il s’agissait d’espadon dont la pêche est interdite, quand la benne s’est déclenchée dans des circonstances encore floues. Des manifestations de protestation se sont déclenchées dès la parution sur Internet de la vidéo montrant cette scène épouvantable.
L’affaire se déroule dans le Rif, une région instable où la population s’insurge facilement contre le pouvoir central, qu’il soit colonial comme l’Espagne ou la France, ou royal comme maintenant. Le gouvernement et le roi Mohammed VI seraient bien inspirés de ne pas prendre ce mouvement spontané à la légère. N’oublions pas que le printemps arabe a trouvé son origine dans un évènement comparable, quand un vendeur ambulant s’est immolé par le feu en Tunisie dans la ville de Sidi Bouzid le 17 décembre 2010. À l’époque, le président Ben Ali avait cru pouvoir prendre de haut les manifestations qui s’en étaient suivies, avant de devoir céder et s’exiler sous la pression de la rue. La situation du Maroc est toujours instable depuis ces contestations populaires. Le roi a beaucoup promis de réformer la société et de la moderniser, mais les Marocains n’ont pas constaté beaucoup de changements depuis son accession au pouvoir, si ce n’est dans le style plus moderne du souverain. La réalité du pouvoir, elle, reste dans un régime autoritaire où la contestation n’est pas admise, en particulier pour les caricaturistes et les journalistes.
La situation n’est guère plus facile d’ailleurs pour les médias étrangers. Une équipe du Petit journal qui voulait tourner un reportage sur l’agression homophobe de Beni Mellal en mars 2016 a été fermement remise dans l’avion. Et cependant, le Maroc s’apprête à recevoir les émissaires du monde entier à Marrakech pour l’ouverture des travaux de la COP 22 sur le climat après le succès de la conférence de Paris. Une énorme caisse de résonance dont comptent profiter les mouvements contestataires, tels que le Rassemblement mondial amazigh, le mouvement séparatiste berbère, ou le Collectif des défenseurs Sahraouis des droits de l’homme, ainsi que les 10 000 enseignants stagiaires dont le sort n’est encore pas fixé depuis les manifestations du printemps dernier. Notre ami le roi se serait bien passé de cette publicité liée au vaste mouvement de protestation pour les funérailles du poissonnier d’Al-Hoceima.