La presse selon Vincent

Je ne peux pas dire que je suis un fidèle lecteur du Journal du Dimanche, ni que je me précipite sur le kiosque à journaux pour y découvrir la prose de ses rédacteurs, bien que je reconnais qu’il décroche parfois des interviews exclusives. Il n’empêche que je partage les inquiétudes de l’ensemble de l’équipe du journal à l’annonce, puis la nomination effective de Geoffroy Lejeune à sa direction. Non que la ligne éditoriale risque d’être totalement bouleversée, le journal étant déjà propriété de Vincent Bolloré, par l’intermédiaire du groupe Lagardère, racheté par le milliardaire breton depuis 2021.

Que des organes de presse soient détenus par des groupes industriels ou financiers, ce n’est pas l’idéal, mais ce n’est pas nécessairement un obstacle absolu à l’indépendance des journalistes qui y travaillent. L’exemple du journal le Monde, détenu notamment par des actionnaires français tels que Xavier Niel et Mathieu Pigasse, démontre que le modèle peut fonctionner. En effet, c’est la SRM, société des rédacteurs du Monde, qui valide, ou non, les propositions des actionnaires dans le choix du directeur et la cession de parts de l’entreprise. Avec Vincent Bolloré, les choses sont beaucoup plus simples : c’est lui qui impose ses choix et place ses pions. Ils lui doivent tout et se gardent bien de critiquer le boss. C’est lui qui est à l’origine de ce jeu de chaises musicales. Pour faire une place à Geoffroy Lejeune, débarqué de Valeurs actuelles et très marqué à l’extrême droite, il aura fallu virer Jérôme Béglé pour lui offrir Paris Match, qui appartient, je vous le donne en mille, à… Vincent Bolloré ! vous l’aurez compris, ce tour de passe-passe démontre surtout une concentration de la presse dans des mains peu nombreuses et intéressées.

Dans le cas de Geoffroy Lejeune, il s’agit de promouvoir un acteur très politisé de la scène médiatique. On le sait très proche des positions de Marion Maréchal et d’Éric Zemmour, dont il fait régulièrement l’éloge. Il ne déparera pas dans la collection déjà brillante des zélateurs et propagandistes « maison » tels que Jean-Marc Morandini, Pascal Praud, ou Cyril Hanouna. Les journalistes de l’hebdomadaire ne s’y sont d’ailleurs pas trompés. Dès l’annonce de la nomination de Geoffroy Lejeune, ils se sont mis en grève, aussitôt soutenus par huit anciens directeurs du journal, une grève reconduite pour préserver leur indépendance. Même le gouvernement, par l’entremise de sa ministre de la Culture, a fait connaître ses inquiétudes. Depuis que Vincent Bolloré a commencé à s’intéresser au secteur de la presse, il n’a cessé d’étendre son influence. Ce n’est pas pour l’argent, même s’il essaie d’en gagner, ou du moins de ne pas trop en perdre, mais bien pour promouvoir des idées, qui sont, comme par hasard, toujours plus populistes, et musèlent toutes les oppositions qui nuisent au bizness. On l’a vu à l’œuvre avec Canal plus et la mise au pas de ses trublions. Jusqu’où s’arrêtera-t-il ?