Estomaquée
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- Catégorie : Diabloguiste
- Publié le mercredi 31 mai 2023 11:01
- Écrit par Claude Séné
La ministre de la Culture s’est déclarée « estomaquée » par le discours « ingrat et injuste » de la réalisatrice française, Justine Triet, après avoir reçu la palme d’or du Festival de Cannes 2023. Que reproche-t-elle à la cinéaste, sinon sa position extrêmement critique à l’égard du gouvernement sur la réforme des retraites et la manière de l’imposer aux Français ? Plusieurs choses m’ont étonné dans cet incident, notamment que la ministre ait assisté à la cérémonie chez elle, devant la télévision, comme vous, peut-être, et pas comme moi, qui fuis ces retransmissions interminables sans le moindre intérêt, excepté quand ça dérape comme samedi dernier.
Rima Abdul Malak avait une excuse. Quand elle s’est déplacée le 24 avril dernier au Théâtre de Paris pour la cérémonie des Molières, elle en a pris plein la tête sur la réforme des retraites, déjà, au point de se sentir obligée de prendre la parole pour défendre son biftèque et celui de la classe dirigeante. Ensuite, le choix du vocabulaire est intéressant. Quand on veut faire de la politique, et particulièrement sous les ordres d’un président omniscient et omnipotent, il est conseillé de disposer d’un solide estomac, car il faut s’attendre à devoir avaler un certain nombre de couleuvres et digérer sans sourciller les changements de pied de l’exécutif dont on devient solidaire selon la jurisprudence Chevènement : un ministre, ça ferme sa gueule ou ça démissionne. Et il faut admettre que la tâche est ardue quand on reprend un département qui continue d’être sous-loué par l’inoxydable Jack Lang qui n’a jamais été remplacé dans l’esprit des Français malgré ses nombreux successeurs.
L’autre élément de langage particulièrement intéressant concerne la supposée ingratitude de la cinéaste, ce qui sous-entend que c’est la ministre, personnellement, ou le président de la République, qui aurait fait une faveur à la réalisatrice en lui octroyant, dans sa grande bonté, les subsides nécessaires à l’aboutissement de son projet. On pourrait croire que Justine Triet est en train de mordre la main qui l’a nourrie au lieu de se répandre en louanges sur les bienfaits du régime qui permet de telles réussites. J’hésite entre deux comparaisons, aussi légitimes l’une que l’autre à mon sens. Soit le monarque républicain est encore une fois à l’ouvrage, et il s’entoure de talents artistiques dont il rémunère les productions selon son bon vouloir, soit il s’inspire de la vie et l’œuvre du Général de Gaulle, qui considérait que la télévision étant financée par l’état, elle devait être au service de l’état, et donc de son chef, lui-même. Il n’est sans doute pas inutile de rappeler que la France a mis en place un financement de l’industrie cinématographique bien avant l’arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron, et que l’on espère qu’il n’aura pas le temps de le détruire avant de céder la place.