Do not disturb

Hier, devait se tenir salle Pleyel à Paris, l’assemblée générale du groupe Total énergies, la célèbre multinationale française qui affiche des bénéfices insolents, tellement ils sont en décalage avec les difficultés de la plupart des Français confrontés à l’inflation, notamment celle liée aux produits pétroliers. Il n’y a pas si longtemps, le groupe faisait une ristourne dérisoire à la pompe, pour faire oublier les surprofits scandaleux engrangés par le groupe sur le dos des consommateurs. Naturellement, les actionnaires, petits et gros, ne peuvent qu’être satisfaits de ces résultats, malgré le fait qu’ils précipitent le réchauffement climatique et nuisent gravement à la santé de la planète.

Pas d’état d’âme, donc pour le PDG, Patrick Pouyanné, qui doit s’estimer très raisonnable en ne demandant qu’une augmentation de 10 % de sa rémunération variable, sans préjudice de sa rémunération fixe déjà colossale. Il devait se douter que les activistes du climat tenteraient d’attirer l’attention du public sur ce décalage entre les intérêts généraux et les intérêts particuliers de certaines personnes, ou bien les héritiers des renseignements généraux ont eu des tuyaux, car les manifestants étaient visiblement attendus, et le comité d’accueil, très fourni, a tenté de bloquer l’accès, à grand renfort de gaz lacrymogènes. Les actionnaires, hués par la petite foule rassemblée devant l’entrée, ont dû faire le tour, et se mettaient sur le même plan que leurs opposants, comme s’il s’agissait d’une simple divergence d’opinions.

On a pu entendre une actionnaire défendre son droit à percevoir ses dividendes, au même titre que les activistes avaient droit d’exprimer leur désaccord. Un partout, la balle au centre. Il y a ceux qui possèdent un révolver, et ceux qui creusent. La liste des formules telles que « tout changer, pour que rien ne change » pourrait être longue et n’a aucune raison de s’arrêter spontanément, sans une action volontariste des gouvernements. Ce ne sont pas les aumônes envisagées sous forme de participation, d’intéressement ou de primes diverses et variées qui permettront de dépasser l’ordre établi au profit de ceux qui détiennent déjà le pouvoir politique et le capital sur lequel ils ont bâti un empire. Tant mieux pour les quelques chanceux dont l’entreprise a de quoi s’acheter la paix sociale, tant pis pour tous les autres. Jamais la France n’a versé autant de dividendes que l’année passée, et 2023 devrait suivre la même trajectoire. Pendant ce temps, les salaires stagnent. Non seulement ils ne suivent pas l’inflation, mais ils ne bénéficient pas des progrès de productivité. Le pouvoir d’achat réel baisse donc dans la plupart des secteurs. De plus, un groupe comme Total énergies devrait réorienter ses activités beaucoup plus rapidement et plus fortement sur les énergies renouvelables qu’il ne le fait pour amorcer un circuit vertueux indispensable sans attendre l’extinction de la ressource carbonée, dans un calcul à courte vue. Seul l’état est en mesure de l’imposer.