Macron, la carotte et le lapin
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- Catégorie : Diabloguiste
- Publié le vendredi 26 mai 2023 10:42
- Écrit par Claude Séné
Comme chacun le sait désormais, le président de la République adore employer des mots peu courants, qui lui permettent d’étaler sa science et de se démarquer ainsi du commun des mortels. C’est souvent par l’emploi de mots ou d’expressions tombés en désuétude, tels que « saperlipopette », « perlimpinpin » ou « carabistouille », que je ne voyais ou n’entendais plus depuis mon enfance déjà lointaine. Au dernier Conseil des ministres, il a employé le terme de « décivilisation » à propos des derniers incidents qui ont émaillé l’actualité, les trois policiers tués sur la route, l’infirmière agressée à Reims ou le maire de Saint-Brévin.
Les journalistes et moi-même avons dû nous précipiter sur les dictionnaires pour trouver le sens de ce vocable, dont on devine qu’il doit être le contraire de la civilisation, ce que nous désignons généralement par le terme de barbarie, qui aurait pu faire l’affaire sans cette volonté présidentielle de ne rien faire ou dire comme tout le monde. Emmanuel Macron est l’illustration parfaite de la célèbre formule selon laquelle : « si vous avez compris ce que je viens de dire, c’est que je me suis mal exprimé ». Bref, nous avons appris que si le terme, apparemment un néologisme, a d’abord été utilisé par un sociologue allemand du début du 20e siècle, il est surtout associé aux thèses de l’extrême-droite, et notamment à son idéologue, Renaud Camus, qui en a fait le titre d’un de ses ouvrages nauséeux en 2011. Le concept de décivilisation, revendiqué par le Rassemblement national et sa cheffe de file, Marine Le Pen, a déjà été récupéré par la droite classique et notamment Bruno Retailleau. Des zélotes inconditionnels du chef de l’état ont crié au génie en expliquant doctement qu’Emmanuel Macron s’adressait ainsi à un électorat de plus en plus tenté par un vote très droitier.
Un raisonnement qui se heurte à une réalité implacable, pour laquelle je suis obligé de faire un petit détour. Jean Piaget (1896-1980), un psychologue suisse qui a étudié le développement intellectuel de l’enfant et de l’adolescent, dont la légende veut qu’il terrorisait ses jeunes voisins s’ils avaient le malheur de s’aventurer dans son jardin pour récupérer un ballon tant il les harcelait de questions pour vérifier la pertinence de ses théories, a mis en évidence deux processus complémentaires, l’assimilation et l’accommodation. Pour résumer outrageusement, l’être humain absorbe la nourriture intellectuelle et la transforme à son profit. C’est ainsi que c’est la carotte, une fois digérée, qui devient lapin et non pas l’inverse. J’ai grand-peur que le président de la République, à force de se nourrir presque exclusivement de théories inspirées par la droite et l’extrême-droite en oublie jusqu’au goût d’une gastronomie éprise de justice sociale et d’équité, et se mette à croire aux chimères qu’il invente pour se rendre intéressant.
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