On connait la chanson

Peut-on tout chanter ? Comme pour le rire, la réponse est évidemment « oui, mais pas avec n’importe qui ! » Alors, quand une vidéo montrant le président de la République chanter une ritournelle pyrénéenne dans la rue avec un groupe de personnes a été diffusée sur les réseaux sociaux, le premier réflexe des médias « sérieux » a été de s’assurer de l’authenticité de la séquence. Il paraissait en effet assez improbable qu’Emmanuel Macron, quelques heures après avoir prononcé une allocution solennelle dans laquelle il confirmait qu’il avait enregistré le désaccord des Français et leur colère, mais qu’il n’en tiendrait aucun compte, se promène tranquillement dans Paris, avec une désinvolture toute cavalière, comme une sorte de doigt d’honneur adressé aux Français.

Renseignements pris, il ne s’agit pas d’un trucage, qui est devenu possible grâce à une application dite de « deep fake » qui permet de créer une illusion visuelle et vocale très ressemblante. L’entourage du président a confirmé en précisant qu’il s’agissait d’un « temps privé ». Qu’on s’en félicite ou le déplore, il n’existe plus aucun moment de ce type pour un personnage public, le « off » ayant disparu des écrans radars depuis longtemps. Alors ce chant traditionnel est-il problématique ? Pas particulièrement. Le président l’a déjà chanté en public plusieurs fois, comme en 2022, affublé d’un béret basque. Ne lui manquait que la baguette sous le bras, pour l’inscrire au patrimoine immatériel de l’humanité. La question est ailleurs. Les chanteurs qui ont sollicité le chef de l’état appartenaient à une chorale exclusivement masculine d’amateurs qui « chantent régulièrement leur foi à travers un répertoire sacré, leur amour du pays par des chants régionaux ». Ils utilisent une application, « Canto », développée par une association éponyme, connue pour ses liens avec l’extrême droite, qui édite aussi des chants politiques issus du fascisme ou du nazisme, mais à ma connaissance pas de chants révolutionnaires.

Vous me direz qu’il n’y a pas là de quoi fouetter un matou, que le président ignorait les accointances de ses choristes avec des milieux infréquentables, qu’après tout, il n’est pas le premier ni le seul à défendre la culture régionale, il rejoindrait ainsi le club très fermé composé de l’inénarrable Jean Lassalle et le non moins pittoresque François Bayrou, et vous n’aurez pas tort. Et maintenant qu’il va avoir du temps devant lui entre deux déplacements périlleux dans ce pays étrange couramment appelé la France, pourquoi ne pas envisager, après avoir chanté tout l’été, de se reconvertir dans le folklore, en dansant maintenant devant le buffet, comme les millions de Français qui doivent arbitrer entre les dépenses de nourriture, le carburant ou l’énergie, et les loisirs pour les plus chanceux d’entre eux.