Vous ne m’avez pas compris !
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- Catégorie : Diabloguiste
- Publié le jeudi 23 mars 2023 10:33
- Écrit par Claude Séné
Nous sommes le 4 juin 1958 à Alger. Précisément au palais du Gouvernement général, où le Général de Gaulle, fraîchement désigné par le président de la République, René Coty, pour former un gouvernement dont la première tâche sera de tenter de régler la question algérienne qui divise l’opinion en France métropolitaine, entre partisans de l’indépendance et tenants de l’Algérie Française. Le nouveau président du conseil, équivalent du chef de l’état actuel, s’avance sur le balcon et prononce d’une voix forte un discours resté célèbre qui commence ainsi : « je vous ai compris ! » Il est accueilli par un tonnerre d’applaudissements, car chacun de ceux qui l’acclament interprète la formule comme un soutien à ses propres convictions.
Tout le contraire en somme de l’interview donnée hier par Emmanuel Macron, qui a tenté dans un interminable plaidoyer « pro domo » de persuader des journalistes réduits au silence par des affirmations péremptoires, que sa réforme était la seule possible, et donc qu’elle était nécessaire, bien qu’indigeste. C’est d’ailleurs le seul point qui fait l’unanimité : tout le monde est d’accord pour considérer que la pilule a bien du mal à passer, en divergeant sur la répartition équitable des efforts demandés. J’avoue que ce long monologue rébarbatif a rapidement excédé ma patience toute relative et épuisé mes minuscules réserves d’indulgence envers un président usé jusqu’à la corde, qui ne convaincra bientôt plus que lui-même. Je me suis souvenu d’une chanson de Boris Vian, « j’suis snob » dans laquelle il explique avoir retourné sa télé et s’être aperçu que c’était beaucoup plus palpitant de l’autre côté. Après 7 minutes et quelques, j’ai coupé le son et j’ai suivi le reste de l’interview en version muette. Il y avait deux traductrices en langage des signes, dont l’une, celle du président, ne chômait pas, et l’autre, celle des journalistes, qui faisait littéralement la gueule, sans bouger un cil.
En s’en tenant au langage du corps, on voyait bien que le président ne ménageait pas ses efforts pour tenter de convaincre un auditoire qu’il ne pouvait qu’imaginer. Autant de Gaulle a réussi le tour de force de faire croire aux uns qu’il irait vers l’indépendance et aux autres qu’il préserverait l’Algérie française, autant Emmanuel Macron a dû se contenter des 30 % de convaincus par avance de ses positions, alors que 70 % n’ont pas été persuadés. Ce n’est pourtant pas faute d’avoir brandi l’épouvantail des factions et des factieux, à la manière de son lointain prédécesseur confronté à un putsch de quatre généraux, bien réel, lui. On s’attend à une prochaine étape où il citera la « chienlit » pour justifier la répression policière de plus en plus présente, et où il demandera, en paraphrasant de Gaulle, « pourquoi voulez-vous qu’à 45 ans je commence une carrière de dictateur ? »