Iconoclastes
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- Catégorie : Diabloguiste
- Publié le mardi 18 octobre 2022 11:07
- Écrit par Claude Séné
Je n’ai jamais été dans ma prime jeunesse ni par la suite, un admirateur inconditionnel de Tintin, un tintinophile, ou un tintinophage, comme certains députés, parce qu’il m’était difficile de m’identifier à un garçonnet en culotte de golf. Par contre, le personnage du capitaine Haddock me plaisait davantage en raison de son caractère colérique qui l’amenait à déverser des tombereaux d’insultes en cascade ou en brochettes, à la manière de « la ronde des jurons » chantée par tonton Georges. Dans la liste impressionnante recensée par l’ami Albert Algoud, outre l’incontournable bachi-bouzouk ou le crétin des Alpes, j’ai une affection particulière pour l’injure d’iconoclaste.
Et c’est apparemment la démarche de ces deux activistes qui ont aspergé de soupe à la tomate le célèbre tableau de Vincent Van Gogh, les Tournesols, exposé à la National Gallery à Londres. Avant d’être délogées par la sécurité, elles ont eu le temps de se coller au mur avec de la glu ultra-forte et d’expliquer les motivations de leur geste. Ces deux jeunes femmes appartiennent à un groupe activiste : « just stop oil », qui demande l’arrêt du recours au pétrole et au gaz, devenus hors de prix pour les familles les plus pauvres. Et de conclure par la question : « qu’est-ce qui a le plus de valeur, l’art ou la vie ? » On comprend bien que la question est rhétorique puisqu’il n’est pas possible de choisir entre les deux options. Un peu comme celle posée à un enfant : « qu’est-ce que tu préfères : ton père ou ta mère ? » à laquelle il répondait, non sans un certain bon sens : « je préfère le lard ». D’ailleurs, l’œuvre n’a sans doute pas été choisie au hasard et n’a pas subi de dégâts, car protégée par une vitre.
Il me semble que ce geste provocateur, destiné à attirer l’attention des médias et du public, ce en quoi il a pleinement réussi, confond deux aspects. Une œuvre d’art est d’abord le résultat d’une démarche de création, souvent purement gratuite, avant de devenir, éventuellement, un produit possédant une certaine valeur marchande, pouvant être vendu et acheté. L’émotion que peut susciter un tableau comme celui de Van Gogh ne s’oppose pas à la défense d’une justice sociale et solidaire, et à l’écologie en général. Certaines œuvres peuvent d’ailleurs contribuer à la diffusion d’idées que partageraient sans doute les deux militantes anglaises, comme le « Guernica » de Pablo Picasso. Là où la démarche peut se révéler salutaire, c’est dans l’origine même de ce concept d’iconoclasme, qui remonte à l’Empire byzantin, quand l’Empereur Léon III s’avisa d’interdire l’adoration des représentations divines, les icônes, en lieu et place des véritables divinités. En ce sens-là, la vénération du Dieu dollar et la marchandisation de toute la société est un fléau qui justifie que l’on en déboulonne les statues.