Totem et tabou

Je ne crois pas que je vais m’infliger la lecture de « Familia grande », cet ouvrage de Camille Kouchner dans lequel elle dénonce le viol infligé à son frère jumeau par son beau-père, le politologue bien connu, Olivier Duhamel. Non que je conteste la réalité des faits qu’elle lui reproche, et qui seront, peut-être, établis par la justice, si la prescription ne l’en empêche pas. Le silence et la démission d’Olivier Duhamel de ses fonctions publiques tendent à prouver qu’il reconnait implicitement sa culpabilité. Il s’agit simplement ici pour moi d’hygiène mentale.

N’étant ni journaliste ni essayiste, je ne me sens pas tenu d’avoir un avis sur tout. Et le sujet est particulièrement pénible. J’ai trouvé le livre de Vanessa Springora, « le consentement », où elle raconte l’histoire de sa relation avec le célèbre écrivain Gabriel Matzneff à l’âge de 14 ans, très intéressant, mais également très éprouvant. Peut-on admettre qu’un enfant, apparemment consentant, dispose des facultés affectives, morales et intellectuelles permettant de considérer qu’il s’engage volontairement et de façon éclairée, dans une relation équilibrée avec un adulte ? Et si oui, à partir de quel âge ? La presse a présenté le livre de Camille Kouchner comme une histoire d’inceste. Juridiquement, c’est vrai, puisque l’inceste s’applique aux conjoints ou compagnons des apparentés eux-mêmes. Mais moralement, l’apparentement ne me parait pas le premier ressort de la relation délictueuse. Il y a surtout abus de pouvoir, au même titre que dans les affaires qui ont secoué l’église ces derniers temps. Le prédateur sexuel incestueux s’en prend aux premières victimes potentielles de son entourage, celles qui sont les plus proches et les plus vulnérables, par opportunisme. La dimension pédophile est première, ainsi que la transgression générationnelle. Je ne connais pas d’exemple d’affaires judiciarisées dans lesquelles l’inceste concernait des frères et sœurs, voire des cousins d’âge similaire.

Cette nouvelle affaire, outre le rappel de la souffrance subie par les victimes, qui n’arrivent généralement pas à dénoncer eux-mêmes leur calvaire avant très longtemps, montre de nouveau la complicité, active ou passive de l’entourage, en l’occurrence la mère, qui ne peut ou ne veut pas voir l’évidence, et de la société en général. De la même façon que le cardinal Barbarin a couvert les agissements criminels de l’abbé Preynat, des syndicalistes reprochent au directeur de Sciences Po, Frédéric Mion, alerté l’an dernier sur des rumeurs concernant Olivier Duhamel, professeur dans cette école, de n’avoir pas pris de mesures conservatoires et avoir continué à le présenter aux élèves comme un parangon de vertu, en dépit de ses doutes. Si l’inceste est bien le prototype même du tabou, de l’interdit absolu, celui qui en est ici l’auteur apparait comme une figure totémique de son clan, à laquelle il faut avoir le courage de s’opposer.

Commentaires  

#1 jacotte 86 08-01-2021 11:52
l'excuse du souffle de "liberté" de Mai 68 n'est pas acceptable , j'y vois plutôt la marque de la toute puissance d'une grande bourgeoisie et d'intellectuels parisiens se croyant protégés par une espèce d'omerta insoutenable
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