Diversion

Habituellement, le Premier ministre est chargé de chaperonner les ministres un peu moins connus pour leur faciliter l’introduction auprès d’un public qui les découvre. Avec le nouveau chef du gouvernement, on a l’impression que c’est l’inverse qui se passe. Jean qui ? Jean Castex ! Connais pas. Mais si, c’est le nouveau Premier ministre. Ah ! bon ? Je croyais que c’était le chauffeur. J’exagère à peine, tant le « nouveau » paraît emprunté, malgré un côté « franc et direct » selon ses interlocuteurs syndicaux et patronaux.

Le gros problème de Jean Castex, c’est que non seulement son nom ne dira rien à la plupart des gens, pas plus que sa tête assez passe-partout qui le fera au mieux confondre avec Jean Michel Blanquer dont on ne peut pas dire qu’il soit le ministre le plus charismatique du gouvernement, quoi qu’il en pense, mais aussi qu’il ne peut rien dévoiler des orientations de son gouvernement, à supposer qu’il les connaisse lui-même. Quand Roselyne Bachelot balance un scoop sur la reconstruction « à l’identique » de la flèche de Notre Dame, il est immédiatement confirmé par l’Élysée, indiquant clairement que la ministre avait été dûment autorisée à risquer cette prédiction. Donc, quand Jean Castex annonce aux partenaires sociaux qu’il compte bien remettre la réforme des retraites sur le tapis, il faut comprendre qu’il est en service commandé et que le président utilise ce chiffon rouge pour détourner l’attention des sujets principaux qu’il compte bien aborder lui-même le 14 juillet. Ce n’est qu’une fois le cadre général tracé et les orientations définies par le boss, que les sous-fifres seront conviés à décliner les décisions et à en faire le service après-vente.

La réforme des retraites ayant déjà été adoptée en première lecture sur son principe, c’est un sujet idéal pour réaffirmer le versant réformateur du régime, tout en prétendant rester ouvert à la discussion. Seul léger problème, les Français, selon les sondages, y sont opposés, et les partenaires sociaux ne veulent pas en parler en ce moment, considérant que l’urgence est ailleurs. Même la CFDT, qui a inspiré l’esprit de la réforme de la retraite par points, voudrait éviter les conflits sociaux prévisibles si les modalités envisagées d’allongement du temps de travail sont imposées. Même prudence du côté de l’organisation patronale. Le MEDEF souhaite un plan de relance massif pour aider les entreprises à passer l’été et si possible l’hiver. L’« initiative » calibrée de Jean Castex semble donc avoir raté doublement son objectif, et aura eu l’effet inattendu de mettre d’accord sur un point les interlocuteurs qui se « foutent sur la gueule » habituellement, selon l’expression de Laurent Berger, secrétaire de la CFDT. Après ce ballon d’essai, on est en droit de se demander quel os bien blanchi va trouver le pouvoir pour le donner à ronger à la presse jusqu’au discours présidentiel prochain.