Amour et partage.

Confronté à la succession de son père, La Fontaine écrivit la fable « le vieillard et ses enfants », dont je me suis permis quelques coupures pour servir mon propos.

Toute puissance est faible, à moins que d’être unie….

Mais venons à la fable…

Un Vieillard près d’aller où la mort l’appelait :

Mes chers enfants, dit-il (à ses fils il parlait),

Voyez si vous rompez ces dards* liés ensemble (*dards : bâtons en faisceau)

Je vous expliquerai le nœud qui les assemble

Tous perdirent leur temps, le faisceau résista :…

Faibles gens ! Dit le père, il faut que je vous montre

Ce que ma force peut en semblable rencontre…

Il sépare les dards, et les rompt sans effort.

Vous voyez, reprit-il l’effet de la Concorde.

Soyez joints, mes enfants, que l’amour vous accorde…

Enfin, se sentant près de terminer ses jours :

Mes chers enfants dit-il, je vais où sont nos pères.

Adieu, promettez-moi de vivre comme frères.

Il prend à tous les mains ; il meurt ; et les trois frères

Trouvent un bien fort grand, mais fort mêlé d’affaires.

Un créancier saisit, un voisin fait procès :

D’abord notre trio s’en tire avec succès.

Leur amitié fut courte autant qu’elle était rare.

Le sang les avait joints, l’intérêt les sépare.

L’ambition, l’envie, avec les consultants,

Dans la succession entre en même temps.

On en vient au partage, on conteste, on chicane.

Le juge sur cent points tour à tour les condamne.

Les frères désunis sont tous d’avis contraire ;

L’un veut s’accommoder l’autre n’en veut rien faire.

Tous perdirent leurs biens, et voulurent trop tard

Profiter de ces dards unis et pris à part.

La première morale de cette fable, annonçant que l’union fait la force, sera largement développée dans bien d’autres fables, celle que j’ai retenue, c’est que l’intérêt peut séparer ceux que l’on croyait les plus unis et les mener jusqu’à l’infortune, en même temps qu’a la perte de l’amour fraternel et de la cohésion familiale.

Johnny Hallyday n’avait pas la sagesse du vieillard de la fable, son testament séparait plus qu’il ne liait ses héritiers, mais peu importe, sa succession qui laisse « un bien fort grand, mais fort mêlé d’affaires » de plusieurs dizaines de millions d’euros, a déclenché une bataille, dans « le clan » Hallyday. Voilà une affaire qui durera sûrement des années, qui engraissera les avocats, entamera la part de chacun, et laissera des traces indélébiles affectives et psychologiques. À moins qu’ils retiennent la leçon de la fable. Cela paraît difficile à envisager, car ce que ne dit pas La Fontaine, c’est que derrière l’ambition, l’envie, l’intérêt, se cachent d’autres conflits plus intimes et que le règlement de la succession n’est que prétexte à mettre à jour les différents enfouis depuis longtemps. Autant que du partage des biens, n’est-il pas presque toujours question du partage de l’amour parental ? Nombre de familles ordinaires en ont fait ou en feront hélas l’expérience, c’est inhérent à la nature humaine…

L’invitée du dimanche