La jeune fille et le philosophe

L’invitation de Greta Thunberg, cette jeune fille de 16 ans engagée dans la lutte contre le réchauffement climatique, à venir s’exprimer devant l’Assemblée nationale française, n’a pas fait que des heureux. Certains groupes de députés, franchement hostiles, ont décidé de boycotter purement et simplement la séance. Sur les réseaux sociaux, les « haters » professionnels s’en sont aussi donné à cœur joie pour dénigrer la jeune Suédoise, allant même jusqu’à l’accuser d’utiliser sa maladie, le syndrome d’Asperger, une forme d’autisme, pour se mettre en avant. Du très classique en somme, tant certaines personnes détestent les têtes qui dépassent.

En l’occurrence, la tête de Greta dérange parce que, malgré son jeune âge, elle énonce des principes évidents, sans se laisser démonter par les critiques, et renvoie les adultes à leurs responsabilités. Une attitude visiblement insupportable pour le philosophe Michel Onfray, qui a déclenché un feu nourri à l’encontre de la jeune militante, accusée de tous les maux et critiquée jusque dans son apparence physique. Il commence par l’affubler d’un sobriquet moqueur, en l’appelant ironiquement « Greta la science » et fait semblant de la soupçonner d’être un cyborg, c’est-à-dire un être hybride entre un humain et une machine. Faut-il qu’un intellectuel aussi prestigieux que Michel Onfray se sente menacé pour attaquer de la sorte une simple jeune fille qui devrait le laisser indifférent ? Serait-il désarçonné par la pertinence des positions défendues par Greta Thunberg ? Il ne se donne pourtant pas la peine de réfuter sur le fond l’argumentation de la militante. Ce qui le révulse, c’est qu’une presque petite fille fasse la leçon à des personnes adultes et supposées responsables.

Cet acharnement peut s’expliquer, à mon avis, par le fait que Michel Onfray est un autodidacte, issu d’un milieu peu porté sur la culture en général, et qu’il a dû se forger tout seul, en étudiant d’arrache-pied, jusqu’à devenir un philosophe reconnu, quoique controversé pour ses positions parfois polémiques. Imaginez le traumatisme de voir accorder un statut social au moins équivalant au sien, sans avoir dû faire au préalable des efforts considérables. Pire encore, Michel Onfray y voit le symbole d’une société qui nivèle toutes les valeurs, dans laquelle l’opinion d’un crétin de la téléréalité a autant de poids que celle d’un prix Nobel. J’entends bien cela dans le discours d’Onfray, et j’aurais été prêt à y souscrire s’il l’avait énoncé sous cette forme. Mais cela n’empêche pas de reconnaitre qu’il fait jour à midi, et que le conseil de Greta Thunberg d’écouter les scientifiques ne peut guère être contredit, sauf à démontrer que tout le monde se trompe et que seul le philosophe a raison, par définition.