La sale rumeur
- Détails
- Catégorie : Diabloguiste
- Publié le jeudi 28 mars 2019 11:17
- Écrit par Claude Séné
Vous avez forcément entendu parler de cette rumeur selon laquelle des Roms sillonnaient le territoire français en camionnette blanche, en quête d’enfants à enlever. Cette rumeur que certains ont qualifiée de fausse est malheureusement bien réelle, c’est son contenu qui a été fabriqué de toutes pièces, puisqu’aucune disparition inquiétante d’enfant n’a été signalée dans ce laps de temps où la fausse nouvelle a été répandue. Ce qui n’a pas empêché des citoyens, sans doute de bonne foi pour la plupart, d’organiser des battues pour retrouver les auteurs de ces faits inventés.
Des vidéos ont circulé pour montrer ces expéditions punitives, où des tombereaux de haine et de violence se sont déversés sur des boucs émissaires tout désignés, ceux dont vous parlait récemment mon invitée du dimanche, les marginaux, en l’occurrence ceux qui sont connus sous le nom de Roms. Sur la foi de faux témoignages, relayés par des gogos crédules et des malveillants à des fins de propagande, des populations parfois installées depuis très longtemps, ont été l’objet de persécutions rappelant fâcheusement les ratonnades contre les Maghrébins ou les pogroms visant les Juifs. Car la dimension raciste est au cœur de ces réactions violentes contre un danger imaginaire. C’est ce terreau d’ignorance, de préjugés, de rejet de l’étranger, qui a permis à ces « fake news » de prospérer. Des haineux professionnels, à l’affut de la moindre polémique, se sont emparés de cette aubaine et l’ont utilisée pour alimenter leurs théories complotistes. Les policiers auront beau démentir les faits complètement inventés par ces criminels qui incitent à la haine raciale et appellent au meurtre, ils sont moins crédibles que l’ado boutonneux qui a vaguement entendu parler de quelque chose et qui relaie la fausse nouvelle en toute bonne conscience sans se rendre compte des conséquences de son clic.
Ce qui a changé depuis que le sociologue Edgar Morin décrivait la rumeur d’Orléans selon laquelle des jeunes femmes étaient enlevées dans les cabines d’essayage de commerçants juifs pour être vendues à un réseau de prostitution, ce sont les réseaux sociaux, qui permettent une diffusion instantanée et mondiale de n’importe quelle information, sans qu’il soit nécessaire ni même possible de la vérifier, toutes les sources devenant redondantes les unes par rapport aux autres. Autre conséquence, toutes les informations se valent, quelle que soit leur origine, et la crédibilité de l’émetteur a été inversée. Toute information officielle est suspecte, et toute information invérifiable émanant d’un individu lambda est crédible. Les vecteurs de cette circulation des rumeurs, parfois appelées « légendes urbaines », refusent de réguler a priori le flux au nom des libertés individuelles, laissant un tueur émettre des images insoutenables de son massacre pendant de longues minutes, alors que la pudibonderie de leurs propriétaires les amène à censurer la moindre image de nudité y compris dans les œuvres d’art. Voilà où nous en sommes.