Filer à l’anglaise

L’expression bien connue désigne une façon discrète de s’éclipser sans prendre congé de son hôte, avec quelques connotations péjoratives. Le moins que l’on puisse dire c’est que nos amis anglais n’ont pas pris tant de précautions pour quitter la communauté européenne après un vote populaire que l’on peut considérer comme largement biaisé. La pauvre Teresa May en a perdu la voix à force de s’acharner à demander le soutien de sa majorité pour approuver une convention de divorce âprement négociée avec les Européens. Et elle persévère diaboliquement et de façon suicidaire à quêter l’approbation d’une opinion qui ne veut ni du deal, ni du non-deal.

Les partisans du Brexit restent largement persuadés que l’Europe finira par les supplier à genoux de continuer à leur accorder tous les avantages de l’Union, sans devoir faire le moindre effort en retour. Être à l’extérieur de la Communauté ne ferait qu’officialiser leur position, déjà en marge dès l’origine, et leur éviter de payer la contribution au budget européen, donnant raison à titre posthume à leur dame de fer, Margaret Thatcher, qui voulait récupérer son chèque. Cette façon de voir accréditerait la thèse selon laquelle filer à l’anglaise signifierait partir en catimini, comme un voleur. Excepté qu’il n’y a rien à voler dans l’UE, mais que tout le monde a beaucoup à perdre.

Il faut observer cependant que si nous attribuons ce trait de caractère aux Anglais, ceux-ci nous le rendent bien. De même que les préservatifs changent de nom en franchissant la Manche, l’expression change de nationalité en devenant sur l’autre rive du Channel : « to take French leave ». La perfide Albion est suivie en cela par les Allemands, les Espagnols, les Brésiliens, les Grecs et une partie des Américains, l’autre préférant citer les Hollandais. À vrai dire, le scénario tragi-comique de cette séparation difficile me fait plutôt penser au film « Divorce à l’italienne ». Depuis son adhésion en 1973, à l’issue d’un processus de 12 années de négociations, le mariage du Royaume-Uni et de la Communauté européenne s’est toujours placé sous le signe du « je t’aime, moi non plus ». À présent que la rupture est consommée, l’Angleterre, tel Marcello Mastroianni, cherche une bonne raison d’en rejeter la faute sur ses partenaires et pouvoir quitter l’union en gardant tous les biens du ménage. Comme elle le fait depuis qu’elle est une île, et peut-être même avant, l’Angleterre veut le beurre, l’argent du beurre et le sourire de la crémière, comme le disent les gens polis. Il semblerait que la crémière européenne veuille bien donner gracieusement le sourire, mais tienne jalousement à son beurre, et aussi à l’argent qui est au fond le seul ciment dont elle dispose.