![](/images/breton_assis.png)
La marge
- Détails
- Catégorie : Diabloguiste
- Publié le dimanche 3 mars 2019 09:44
- Écrit par L'invitée du dimanche
![](/images/breton_assis.png)
C’est peut-être tout simplement l’espace blanc autour d’un texte, dans lequel il est permis parfois de laisser des annotations, on se rappelle celles marquées par nos professeurs sur nos devoirs écrits. Mais bien au-delà, c’est symboliquement un intervalle d’espace ou de temps, pour une possibilité d’action.
On connaît tous ces expressions, laisser de la marge, sous-entendant ne pas enfermer un système, franchir une marge, c’est justement ne pas respecter cet espace entre deux faisabilités, prévoir une marge, donc être prudent sur l’avenir, oublier la marge et se laisser piéger sans recours possible, et bien sûr, vivre en marge.
En général, cet aspect de la question exprime une vision assez pessimiste, voire négative de la situation de la personne qui vit peu ou pas insérée dans la société, reléguée hors du monde. On la dit marginale, déviante, et si cette situation n’est pas délibérément choisie elle est aliénante, elle devient vite un enfer, car rimant avec exclusion, perte d’identité… et pourtant…
Si l’on regarde la marge comme un appel à désobéir, une façon d’affirmer sa singularité, on voit qu’elle nous impose à repenser le monde en défiant la normalité, la banalité. C’est l’imprévisibilité et l’irréversibilité qui fondent l’homme et le monde. Les marges d’erreur et de tolérance que l’on accepte dans notre vie sont les portes ouvertes sur un autre monde, laissant doucement s’immiscer le chaos qui nous rend plus humains, plus vivants.
La création artistique a besoin de l’existence de la marge, pour inventer, pour créer de nouvelles expressions entre les courants classiques et mettre le monde en évolution constante.
La marge devient donc une liberté quand elle est choisie et délibérée, c’est une bouffée d’oxygène qui nous autorise à sortir de la société « normale », pour retrouver un esprit qui nous rend uniques, et peut mener jusqu’à la désobéissance civile et la révolte intellectuelle par exemple.
Je ne suis pas sûre que cet éclairage philosophique positif consolera toutes les populations qui se trouvent en marge des institutions dominantes, et elles sont nombreuses à essayer de faire reconnaître leur identité, leur culture. On les trouve à la marge, appelée joliment périphérie, autour des zones urbaines, où l’on retrouve des immigrants de première ou deuxième génération, surfant sur la marge de deux cultures et de deux sociétés dont l’interpénétration se fait si difficilement qu’elle encourage le repli identitaire, dont on connaît la possible radicalisation.
Mais dans cette mixité de populations dont on stigmatise les différences, on voit émerger des projets innovants, des talents artistiques reconnus qui ont su exploiter la marge, l’espace qu’on a bien voulu leur laisser, laissant entrevoir des promesses de synthèses fécondes pourvu qu’on les y encourage.
Plus loin de nous, toutes ces civilisations « à part » qui résistent tant bien que mal à l’invasion des grandes puissances économiques, en Indonésie, aux Philippines, au Pérou, en Bolivie, auront aussi de plus en plus de mal à considérer leur marginalité comme un espace de liberté, beaucoup d’entre elles, devenues des zoos vivants, ne survivent plus que par leur attrait touristique.
Quelle décadence, serions-nous revenus au temps du bon sauvage ?
L’invitée du dimanche
Commentaires