60 millions de Ponce Pilate

C’est à la louche le nombre de Français qui ne veulent pas du retour sur le sol national de leurs compatriotes qui se sont engagés dans le djihad aux côtés de l’état islamique. Une réaction de peur ou d’inquiétude compréhensible quand il s’agit de combattants, à l’image de Fabien Clain, dont la mort a été confirmée dans l’enclave des jusqu’au-boutistes de Baghouz. Une méfiance aussi à l’égard des femmes qui les ont suivis, parfois plus de gré que de force, mais un rejet inadmissible des enfants, souvent en bas âge, qui se sont trouvés pris dans cette nasse.

Le sondage réalisé pour France Info par Odoxa montre que 67 % des personnes interrogées souhaitent que les enfants de djihadistes restent en Syrie ou en Irak, où ils vivent dans des conditions de précarité et d’insécurité indignes d’une nation civilisée. Ils seraient une centaine dans les camps du Kurdistan, dont les familles restées en France demandent le rapatriement. Il y aurait déjà eu environ 80 de ces enfants qui auraient réussi à revenir au cours des derniers mois. Ils ont été pris en charge par l’aide sociale à l’enfance et leur intégration est une réussite. Mais cela reste inconnu du grand public, à qui l’on préfère servir le discours anxiogène de François Molins, procureur de la République, qui qualifie ces enfants de « bombes à retardement ». L’attitude du gouvernement, outre qu’elle est injustifiable sur le plan moral, car elle consiste à laisser des victimes exposées à des dangers y compris mortels, peut aussi être contestée d’un point de vue légal. C’est l’objet de la plainte déposée par trois avocats contre la France auprès du Comité des droits de l’enfant à l’ONU, au nom de la déclaration des droits de l’enfant de 1959 et de la Convention internationale de 1989, dont notre pays est signataire.

Quand bien même les enfants de djihadistes seraient plus à risque que les autres d’être sensibles à la propagande extrémiste, ce qui reste à démontrer, il serait de notre devoir, et tout à notre honneur, de tout faire pour les sauver d’un tel destin. Ce serait de plus de notre intérêt bien compris. On sait très bien que si la misère ne crée pas mécaniquement la délinquance, elle est un facteur de risque dont on constate les effets quotidiennement. De plus, le sondage se garde bien de poser la question du devenir de ces enfants. Quel sort les Français souhaitent-ils pour eux ? Qu’ils meurent, comme les 13 djihadistes français remis à la justice irakienne qui prévoit la peine de mort pour ce type de crime ? Pourquoi pas, du moment que c’est ailleurs, on ne veut pas le savoir. Il y a des jours où l’on n’est pas fier d’être Français.