La statue du commandeur

Le sort en est donc jeté. Abdelaziz Bouteflika, ou ce qu’il en reste, sera bel et bien candidat à sa propre succession pour un cinquième mandat consécutif à la tête de l’Algérie, bien qu’il n’apparaisse plus en public que très rarement et qu’il ne prenne plus la parole à la suite de ses « ennuis de santé » et notamment l’AVC qui l’a contraint à ne plus quitter son fauteuil roulant. Malgré tous ses handicaps, les observateurs estiment qu’il sera réélu au premier tour avec plus de 80 % des suffrages.

C’est la raison pour laquelle les manifestations hostiles à sa candidature se multiplient depuis l’annonce faite à la télévision nationale. Sa déclaration d’intention, lue à l’antenne, nul ne sait s’il en est l’auteur. Imaginez Jacques Chirac, dont on dit qu’il ne reconnait pas plus de 5 personnes, réélu à la tête de la France. Dans un pays véritablement démocratique, il ne serait peut-être pas nécessaire d’interdire à un candidat de se présenter. L’élection devrait pourvoir à tout. Ce serait vrai si de graves soupçons de fraude n’entachaient pas les résultats des précédents scrutins, dans un pays classé 105e sur 130 en matière de corruption en 2018 par l’ONG Transparency International. Il ne faut pas négliger non plus l’attachement irraisonné d’une partie de la population envers ce symbole de la lutte pour l’indépendance, bien qu’il ne soit plus en capacité d’exercer ses fonctions. Les habitants de Levallois-Perret réélisent bien les Balkany malgré leurs casseroles judiciaires, moyennant quelques avantages judicieusement distribués.

Les franges les plus progressistes et les plus évoluées de la population algérienne essaient de dissuader le président sortant de se présenter, mais le clan qui le maintient au pouvoir et qui dirige le pays en sous-main en a décidé autrement. Faute de pouvoir s’accorder sur un autre prête-nom, il portera à bout de bras le quasi grabataire qu’il sort de temps en temps comme sa propre marionnette. Si l’opposition au « mandat de la honte » est bien réelle, elle peine à s’incarner dans une alternative crédible. D’un côté, une poignée de leaders potentiels se sont réunis à Paris dans un rassemblement financé par la très controversée chaîne de télévision El-Magharibia soutenue par le Qatar. Leur stratégie semble passer par l’insurrection et la prise du pouvoir par la force. De l’autre, un homme d’affaires franco-algérien, Rachid Nekkaz, qui a échoué dans ses tentatives de se présenter aux présidentielles en France et qui se rabat donc sur l’Algérie. Il est surtout connu pour avoir payé les amendes données pour le port illégal du voile intégral dans les espaces publics en France. Si peu de gens ont regretté son départ de la scène politique française, il aura du mal à convaincre la population algérienne qu’il peut endosser le costume du nouveau commandeur dont le pays a besoin.