Souriez
- Détails
- Catégorie : Diabloguiste
- Publié le jeudi 24 janvier 2019 10:23
- Écrit par Claude Séné
Vous serez plus à votre avantage quand vous irez manifester juste avant d’être éventuellement défiguré par un tir de balles en caoutchouc. C’est la dernière trouvaille du ministre de l’Intérieur, confronté aux plaintes des manifestants « gilets jaunes » qui ont dénombré 17 blessés dus aux lanceurs de balles de défense, les fameux LBD. Le ministre en reconnait seulement quatre, malgré les preuves apportées par les témoins. C’est déjà trop, mais Christophe Castaner préfère dégainer son arme secrète, les caméras-piétons, plutôt que de renoncer à la violence d’état.
De qui se moque-t-il ? Les forces de l’ordre qui utilisent les pistolets en question seraient supposées, « dans toute la mesure du possible », de l’aveu même du ministre, d’actionner leur caméra pour démontrer qu’ils auront fait un usage raisonnable et proportionné de leur arme, et qu’ils ont respecté les règles de son utilisation en évitant soigneusement de viser la tête des manifestants. Les syndicats policiers ont d’ores et déjà annoncé qu’ils n’étaient pas hostiles à cette mesure, à la condition expresse qu’elle reste de l’initiative du policier et qu’elle ne soit pas systématique. Quel policier serait assez stupide pour s’incriminer lui-même en produisant la preuve d’une fausse manœuvre ou d’un usage abusif de la force ? On peut être certain qu’en cas de situation litigieuse il n’y aura aucune image de tournée par ces caméras-piétons, et s’il y en a, elles seront à décharge pour les forces de l’ordre. Comment sera-t-on certain que l’absence d’image prouve qu’elles n’ont jamais existé ? Ne sera-t-il pas trop tentant de les faire disparaitre ?
Il s’agit clairement d’une manœuvre de diversion du pouvoir au moment où il s’apprête à faire voter une loi « anticasseurs », controversée jusque dans ses propres rangs. L’enjeu de cette loi de circonstance, récupérée à partir d’un texte déposé par la droite avant les manifestations, est de taille. Il s’agit, ni plus ni moins, de contourner l’impossibilité constitutionnelle de supprimer le droit fondamental à manifester. Faute de pouvoir empêcher les mécontentements de s’exprimer, on va tenter d’écarter les personnes que l’on soupçonne, à tort ou à raison, de vouloir enfreindre la loi, avant même qu’elles aient eu l’occasion de passer à l’acte. De telles dispositions existent déjà, notamment dans le domaine du terrorisme, mais elles sont strictement encadrées et soumises au contrôle d’un juge. Avec ce nouveau texte, il suffirait d’une décision préfectorale, donc l’expression de la volonté du pouvoir auquel les préfets sont soumis, pour écarter les trouble-fête, y compris les simples opposants ou adversaires politiques. Autrement dit, il s’agit d’ouvrir la porte à l’arbitraire le plus scandaleux. C’est curieux, mais je n’ai plus trop envie de sourire, là.