Sacré Charlemagne

Je ne sais pas, vous, mais moi on ne peut pas prononcer le nom d’Aix-la-Chapelle sans me faire penser irrésistiblement à Charlemagne. Vous me direz, rien d’étonnant à cela, puisqu’il y est mort et enterré. Attendez. Le jeu des associations d’idées continue. Bon, d’accord, on n’est pas vraiment sûr qu’il ait eu « cette idée folle un jour d’inventer l’école », mais on sait qu’il a réussi à fonder un empire, lui, le roi des Francs, fils de Pépin le Bref, et à faire l’unité par les armes sur une grande partie de l’Europe.

Un personnage qui a de quoi faire rêver un dirigeant français de nos jours, donc. Voire. Cet empire, si vaste, n’a pas survécu au Carolus Magnus qui l’avait fondé et au partage entre ses héritiers. L’autre image qui s’impose est celle de Roland à Roncevaux, soufflant désespérément dans son éléphant comme l’imaginent de nombreux écoliers égarés par une certaine assonance. Une dernière association « libre » pour la route : celle de la division Charlemagne, de sinistre mémoire, puisqu’elle était composée de Français qui avaient choisi le parti de l’ennemi allemand de l’époque, celle de la 2e guerre mondiale. C’est fort de tout cet imaginaire, largement inconscient, que nous avons reçu l’annonce d’un traité franco-allemand, signé hier par la chancelière Angela Merkel et le président Emmanuel Macron. La date du 22 janvier ne doit rien au hasard puisque c’est la même que celle du traité de l’Élysée en 1963, conclu entre Konrad Adenauer et Charles de Gaulle, scellant la réconciliation franco-allemande.

Ce traité, préparé dans le plus grand secret, ne contient, parait-il, guère de dispositions vraiment nouvelles, et serait, pour ainsi dire, insignifiant. La nature ayant horreur du vide, il a donc été l’occasion de propager les rumeurs les plus folles et les plus stupides, comme l’abandon de l’Alsace et la Moselle ou le renoncement à notre siège de membre permanent au conseil de sécurité de l’ONU. La bêtise de ces allégations propagées par l’extrême droite de Marine Le Pen ou Nicolas Dupont Aignan aurait dû suffire à les disqualifier, mais la crédulité de nos contemporains est vraiment sans limites. Elle est ici alimentée par la propension de notre président à l’exercice solitaire du pouvoir. Il n’a pas daigné expliquer aux populations en quoi consistait cet accord. Lui qui est si prompt à justifier l’injustifiable quand il s’agit de cadeaux faits aux riches contribuables, il n’a pas trouvé un mot pour défendre un traité dans lequel il semble ne pas y avoir grand-chose, et en tout cas rien qui menace notre intégrité nationale. Voilà qui n’augure rien de bon sur le grand débat et la campagne électorale des Européennes qui se profile dans la foulée, et dans une opacité totale probable.