Si Versailles m’était conté

C’est le titre d’un film aujourd’hui oublié, comme son auteur, Sacha Guitry, qui connut son heure de gloire dans les années 50 d’un vingtième siècle qui parait très lointain. Versailles continue à symboliser une certaine idée de la France, et notamment son château, splendide résidence du Roi-Soleil, Louis le quatorzième. C’est donc tout sauf un hasard si c’est le lieu choisi par Emmanuel Macron pour la deuxième année consécutive pour inviter les plus grands patrons français et étrangers à un sommet sur le chemin de Davos où ils se rendront ensuite.

Rien n’est trop beau pour flatter les goûts de luxe « à la française » des dirigeants des entreprises et les inciter à investir dans notre pays, même s’ils se débrouillent ensuite pour « optimiser » leurs déclarations fiscales afin de payer le moins possible, voire pas du tout, d’impôts dans notre pays. Fidèle à son image de start-up France, il s’agit pour le président, après le « France is back » l’an dernier, de rassurer les grands capitaines d’industrie en les incitant à préférer notre pays avec le slogan toujours en franglais de « choose France ». Pour attirer les patrons les plus puissants de la planète, ceux de Microsoft, de Coca Cola, d’Alibaba ou d’Ikea, on leur déroule des kilomètres de tapis rouge et l’on met les petits plats dans les grands. Pas moins de 26 ministres sont chargés de câliner les 150 grands patrons attendus au palais. Une telle débauche de splendeur dans un lieu chargé d’histoire de pouvoir absolu a quelque chose de surréaliste dans un pays toujours en pleine crise des gilets jaunes qui réclament notamment plus de justice sociale et fiscale. Cela ressemble fort à un bras d’honneur adressé aux protestataires, qui avaient envisagé un temps de se rassembler devant ce temple de la monarchie, reconverti en palais républicain, mais non moins élitiste.

L’évènement se télescope avec la publication d’un rapport de l’Oxfam qui démontre que 26 milliardaires, dont certains seront à Versailles, détiennent à eux seuls autant d’argent que la moitié la plus pauvre de l’humanité. Ce n’est certes pas une complète nouveauté, mais les écarts se creusent. Devant un tel constat, Emmanuel Macron a clairement fait son choix. Essayer de s’attirer les bonnes grâces des puissants en mendiant les miettes de la mondialisation, sans jamais remettre en cause le système qui permet ces inégalités criantes. Il se range ainsi du côté des versaillais, ceux qui ont marché sur la Commune pour écraser la révolte. Les héritiers des communards qui tenaient les barricades, ce sont ceux qui tiennent les ronds-points à présent et qui ne s’en laissent pas conter. « Tout ça n’empêche pas, Nicolas, que la commune n’est pas morte ! »