Un parfum d’inceste
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- Catégorie : Diabloguiste
- Publié le dimanche 26 août 2018 10:31
- Écrit par L'invitée du dimanche
Au cocktail habituel de passion qui anime les héroïnes tragiques de Racine, Phèdre, qui n’a rien à envier à Andromaque sur le plan des sentiments tumultueux, y ajoute un amour défendu pour Hippolyte le fils de son époux, Thésée, roi d’Athènes, touchant ainsi au plus fort de l’interdit, celui de l’inceste.
Il faut dire à sa décharge qu’elle porte en elle une lourde hérédité, sa mère a connu des amours dépravées avec un taureau qui a engendré le Minotaure. Sa vie frappée de malédiction divine, Vénus la poursuit, est soumise à la fatalité des amours défendues et maudites.
C’est une passionnée, emportée par son attirance sensuelle pour Hippolyte, ses nuits sont hantées de cauchemars, d’hallucinations, de divagations, faisant craindre pour sa raison.
Croyant Thésée mort, elle avoue ses sentiments à Hippolyte qui la repousse. Horrifiée, humiliée, elle tente pourtant de l’acheter en lui proposant le trône d’Athènes au détriment de son propre fils.
Sa passion, au retour de Thésée vivant, la conduit sur les conseils de sa suivante, à calomnier Hippolyte l’accusant de viol, son père n’aura d’autre choix que de l’exiler en demandant à Neptune de le punir.
Comme Andromaque, Phèdre est aussi une femme divisée entre le silence et l’aveu, entre la lucidité et le trouble, illustrant un oxymore cher à mon webmaster, « son âme est une obscure clarté… une sombre lumière ». En effet, elle est capable d’analyser son mal et ses actions passées, tout comme de tout mettre en œuvre pour arriver à ses fins. Elle connaît la culpabilité de voir ces sentiments incestueux faire d’elle un monstre exécrable, elle a horreur d’elle-même, mais elle refuse la responsabilité de ses actes. Se trouvant toujours la victime des dieux, connaissant un divorce entre sa volonté et sa raison, entre son désir de mourir et son envie de vivre, elle perd petit à petit le contrôle de sa vie.
Déchirée, consciente de ses fautes, « je respire à la fois l’inceste et l’imposture », elle finira par avouer à Thésée son machiavélique mensonge, et n’aura d’autre issue que de mourir empoisonnée de sa propre main, sans réel repentir après avoir donné le spectacle d’une lente déchéance passant de la noirceur au remords, au bout d’un combat inégal avec la fatalité.
Ni tout à fait coupable ni tout à fait innocente, puisqu’elle est victime de la fatalité, elle est une héroïne de Racine qui incarne le combat de la chair et de l’esprit. Mais contrairement à Andromaque, rien ne viendra justifier sa rédemption, il n’y a pour elle aucune échappatoire, seule la mort (annoncée) de ce personnage incontournable des tragédies raciniennes sera victorieuse, respectant les règles du genre.
PS : qu’on se rassure, contrairement à Euripide dont Racine s’est inspiré, Hippolyte ne mourra pas, revenu dans les grâces de son père après avoir échappé de justesse aux foudres de Neptune, il retrouvera Aricie dont il est aimé, ils se marieront et auront beaucoup d’enfants !
L’invitée du dimanche