Deux poids, deux mesures

Il aura fallu deux bonnes journées de réflexion au ministre de l’Intérieur, également ministre des Cultes, Bruno Retailleau, pour décider qu’il devait se rendre sur place après le meurtre d’un fidèle musulman dans une mosquée à La Grand-Combe dans le Gard. Il n’avait eu besoin que de deux minutes, ou guère plus, pour décider de se déplacer au lycée privé catholique de Toutes-aides à Nantes, accompagné de la ministre de l’éducation, Élisabeth Borne. Cette fois, Bruno Retailleau se contentera d’ailleurs d’un déplacement à Alès, chef-lieu du département, alors que la communauté musulmane s’attendait à le voir dans la mosquée touchée par l’attaque au couteau de vendredi dernier.

Cette visite, où le ministre de l’Intérieur a pu montrer ses muscles en affirmant que le coupable serait attrapé très rapidement et puni à la hauteur de son crime, a aussi été l’occasion pour Bruno Retailleau, qui est en campagne pour briguer la direction de son parti contre Laurent Wauquiez, de faire une mise au point qui se retourne contre lui, pour proclamer son antiracisme. En effet, il a déclaré devant la presse, et à travers elle au pays, dont on devine aisément qu’il sera candidat à sa présidence : « Être Français, ce n’est pas une question de couleur de peau, de religion ou de condition sociale. On est français, un point c’est tout ». On dit parfois que ce qui va sans dire, va encore mieux en le disant. Dans ce cas précis, ce serait plutôt l’inverse. S’il est nécessaire de préciser, c’est bien parce que les discriminations sont loin d’être exceptionnelles. De plus, cette phrase sous-entend en creux que seuls les citoyens français ont droit d’être protégés de la haine ordinaire.

C’est tout à fait dans la ligne de la politique défendue par Bruno Retailleau qui veut expulser un maximum de ressortissants étrangers en multipliant les OQTF et les centres de rétention. À Nantes par exemple, à quelques kilomètres du lieu de l’attaque qui a tant ému le ministre, des élèves, des parents et des enseignants se mobilisent contre l’expulsion de deux de leurs camarades géorgiens brutalement renvoyés dans leur pays d’origine en cours d’année scolaire. Comment peut-on se draper dans une posture de respect des religions et le refus de toute discrimination à raison de la couleur de la peau, en réservant sa mansuétude aux seuls ressortissants de son pays ? Est-ce la conception de la charité chrétienne que professe le ministre ? La plus élémentaire humanité ne devrait-elle pas inspirer tout responsable politique ? Par ailleurs, le suspect de l’attaque de la mosquée s’est rendu de lui-même à la police italienne, comme une sorte de pied de nez à l’autorité du ministre fanfaron.