À l’ancienneté

Dans la fonction publique, il y a deux manières de progresser dans sa carrière. Il y a la voie royale, celle du « mérite », ouverte aux bons élèves qui appliquent scrupuleusement les consignes de la hiérarchie, et celle de l’ancienneté, pour les cancres ordinaires, qui bénéficient quand même de promotions et finissent par gravir automatiquement les échelons au bout d’un certain temps. Un instituteur pouvait ainsi gagner ou perdre l’équivalent d’une voiture de petite cylindrée sur l’ensemble de sa carrière, grâce au différentiel de salaire adossé à son échelle de rémunération.

Pour un président de la République, c’est un peu la même chose. Après l’exception du général de Gaulle, auréolé de son passé de résistance qui l’exonérait des critiques légitimes que sa politique aurait dû soulever auprès d’une majorité de Français, Georges Pompidou, lui, manquait du temps nécessaire pour se faire apprécier. Emporté par la maladie, il gardera l’image d’un grand bourgeois, assez éloigné du peuple. Le contre-exemple, c’est Chirac. La commune de Brive-la-Gaillarde vient d’inaugurer une rue Jacques et Bernadette Chirac, en lieu et place de John Kennedy, excusez du peu, qui n’est plus là pour se défendre. Il y a une forme d’ironie à associer l’ancien couple présidentiel dans cet hommage, quand il est notoire qu’ils ne s’entendaient à peu près sur rien et que la fidélité n’était pas la qualité première de l’ancien président. Ils étaient toutefois unis par une communauté d’intérêts, les défunts Guignols les représentaient souvent en complices nageant dans une piscine pleine de billets de banque. La popularité de Jacques Chirac a subi des fluctuations, du plus bas jusqu’au sommet de sa réélection providentielle et triomphale grâce au repoussoir Jean-Marie Le Pen. Le secret, c’est de durer. Bien que hors d’état de paraître en public, il aura réussi à survivre à son biographe officiel, décédé avant lui, et il garde la cote depuis qu’il n’est plus aux affaires.

De quoi donner des idées à un autre ancien président, qui a renoncé à briguer un second mandat consécutif, et qui semble croire à un possible retour, en espérant que les électeurs feront preuve de la même amnésie bienfaisante et consolatrice qu’il en a lui-même à l’égard de son action, ou plutôt de ce qu’il n’a pas fait. L’histoire récente ne plaide pas en faveur d’un tel scénario. On peut survivre, comme Chirac ou Mitterrand, à une cohabitation momentanée, mais il ne faut pas partir, volontairement ou non, comme Jospin, Giscard, ou Sarkozy. L’histoire ne repasse pas les plats, dit-on. Et elle semble également user son personnel plus rapidement qu’autrefois, ce qui serait plutôt une bonne nouvelle, dans notre situation actuelle.