D’hier à aujourd’hui

Rien de plus courant, au cours d’une lecture, de s’identifier à l’un des personnages pour se retrouver soi-même, se projeter… Dans le roman passionnant d’Elena Ferrante « l’amie prodigieuse » ma presque sœur, la narratrice, m’a offert un miroir qui m’a renvoyée à mon enfance, mon adolescence et à mes premiers pas de ma vie d’adulte. C’était d’une telle force que je n’ai pas cherché à échapper à la remontée des souvenirs de toutes ces étapes qui ont fait de moi ce que je suis aujourd’hui.

Nous sommes de la même génération, issues d’un milieu modeste, l’une comme l’autre, nous avons eu la chance d’accéder au savoir grâce à l’école primaire et au-delà, grâce au sacrifice de nos mères et avons traversé les mêmes bouleversements de société et politique. À travers Léna, je me revois, complexée, me sentant inférieure à mes camarades de collège, mais farouchement décidée grâce à mes réussites à me distinguer suffisamment pour qu’on me respecte. Humiliée souvent, me trouvant moche, mal habillée, attentive à chaque événement qui pourrait me déconsidérer, déjà un peu parano ! Tout était fait pour nourrir en moi une envie de revanche, une colère froide, moteurs de mes défis, ainsi qu’un besoin de me distinguer par des provocations s’il le fallait. Toujours prête à m’enflammer pour les théories philosophiques de Beauvoir ou Sartre par exemple pour justifier mes comportements, comme elle, j’ai froidement planifié ma première expérience sexuelle, destinée à prouver que j’étais libre et adulte.

J’ai connu le travail durant les vacances, indispensable pour aider les frais de scolarité, et j’en étais fière, mais tout le temps de mes études, j’ai toujours eu peur de ne pas être à la hauteur, de décevoir ceux qui me prêtaient les facultés que je ne pensais pas avoir, à l’affût d’un échec qui leur ferait découvrir la supercherie.

 Moi aussi je n’ai pas résisté à l’attraction de « la bourgeoisie » qui devait m’élever dans la classe sociale, mais je n’y fus que tolérée. Je revois encore la rencontre des deux familles la veille du mariage, l’incompatibilité de ces deux univers était évidente ! Ma mère fut blessée et sûrement humiliée par la distance de ma belle-mère qui tout le temps du repas en gardant son chapeau sur la tête semblait vouloir marquer les différences !!

Le destin de Lena a été plus riche que le mien, elle est devenue universitaire, mais j’ai partagé avec elle le goût de l’écriture, qu’elle a réussi, elle (mais ce n’est qu’un roman !)

Après cette lecture, je sais pourquoi aujourd’hui à chacun de mes réveils, comme un rituel, je regarde avec fierté mon décor pour évaluer le chemin parcouru depuis la maison de mon enfance sans confort. Cette apparente réussite matérielle, c’est l’arbre qui cache la forêt, derrière cela, ma vraie richesse c’est celle faite des traces indélébiles de mon enfance, de mon adolescence et de mes expériences passées, gâchées ou réussies qui continuent à nourrir celle que je continuerai à être demain, avec mes doutes, mes colères et mes certitudes sans rien renier de ce qui m’a construite.

Pardon d’avance pour ce billet un peu trop personnel que je me pardonnerai moi-même s’il vous ouvre quelques horizons de réflexion !

L’invitée du dimanche