Une ministre ne devrait pas dire ça

Mise en difficulté par les questions de Patrick Cohen au sujet de sa mise en examen pour corruption passive dans l’affaire Carlos Ghosn ou GDF Suez, Rachida Dati, ministre de la Culture, a nié en bloc les accusations dont elle est l’objet, en affirmant que rien n’était retenu contre elle. Jusque-là, rien que de très habituel. C’est ensuite que l’interview a dérapé. La ministre, après avoir tenté d’éluder la question, a mis en cause le journaliste de C à vous, en reprenant un article de Médiapart et en interrogeant Patrick Cohen de manière agressive sur un supposé harcèlement de ses collaborateurs lorsqu’il officiait dans la matinale de France Inter entre 2010 et 2017.

La ministre allait jusqu’à menacer Patrick Cohen d’un signalement à la justice, comme le permet l’article 40 qui fait obligation à toute autorité de dénoncer auprès du procureur tout délit dont elle aurait connaissance. En l’occurrence, cela ne peut pas se faire selon le bon vouloir de Mme Dati. Soit il y a matière à enquêter, et le signalement est obligatoire, soit il n’y a rien, qu’un prétexte pour faire diversion. Cette sortie fracassante n’avait rien d’improvisé, et ne s’est pas faite dans le feu de l’action. La ministre de la Culture, qui compte l’audiovisuel public dans ses attributions, s’en est également prise à la présentatrice de l’émission, Anne-Élisabeth Lemoine, qu’elle accuse d’entretenir un climat de travail et une ambiance « épouvantable ». Et là, c’est moche. Autant Patrick Cohen a le cuir épais et en a vu d’autres, autant celle que l’on surnomme Babette dans le métier, est connue pour être une « sériale gaffeuse ». Elle s’est plutôt bien sortie de cette attaque frontale, en reprenant la main sur le cours de l’émission.

De telles tentatives d’intimidation sont naturellement intolérables, et font penser aux méthodes brutales utilisées aux États-Unis pour disqualifier la presse au profit des rumeurs et des complots largement relayés par les réseaux sociaux. Fort heureusement, le terreau en France n’en est pas encore là, et l’indépendance de la presse n’est pas un vain mot. Alors que Rachida Dati a été nommée par le Président de la République sur proposition du Premier ministre, comme chacun en accepte la fiction, Nathalie Loiseau, eurodéputée fidèle à Emmanuel Macron, a cependant dénoncé ces pratiques et apporté son soutien aux équipes de « C à vous ». De son côté, la direction de France Télévisions a renouvelé sa confiance aux journalistes concernés et dénoncé des mises en cause « inacceptables ». On sait que Mme Rachida Dati vient d’un milieu modeste et qu’elle a dû batailler ferme pour parvenir aux postes prestigieux qui lui ont été confiés. Ce ne peut pas être une quelconque justification des méthodes qu’elle utilise contre ceux qu’elle considère comme des obstacles à son ambition dévorante.