Le génie du mal

Le diable se niche, dit-on, dans les détails. Je n’ai pas réussi à identifier cet ecclésiastique entendu fugacement à la radio, qui réagissait à la révélation des crimes pédophiles commis par un prêtre de la région de Saint-Étienne dans les années 70 et 80, décédé depuis 1994. J’aurais pourtant aimé rendre un hommage public à cet homme d’Église, digne de faire partie de la congrégation des disciples de Saint Ignace de Loyola, plus connus sous le nom de jésuites. Il a réussi en effet le tour de force de faire acte de contrition au nom de l’église pour les agressions sexuelles dont le père Ribes s’est rendu coupable, tout en la dédouanant de sa responsabilité dans la même phrase du fait du contexte de l’époque, où personne n’imaginait, selon lui, de tels comportements.

Cet homme a raté sa vocation, si j’ose dire. Il aurait certainement pu faire carrière en politique. On a quand même un peu de mal à le croire après les révélations de l’enquête de la CIASE qui a dénombré plus de 300 000 victimes en France, et les affaires autour du père Preynat et du cardinal Barbarin. Il est faux de dire : « personne ne savait », car l’église est fortement soupçonnée, en France comme ailleurs, d’avoir fait la sourde oreille et n’avoir pas voulu voir ce qu’on lui montrait. Jusqu’au cardinal Ratzinger, qui deviendra ensuite pape sous le nom de Benoît XVI, qui aurait couvert 4 cas de pédophilie dans son archevêché de Munich entre 1977 et 1982. En dehors de ses penchants coupables, le père Ribes était également un artiste apprécié de sa communauté. Il avait gagné le sobriquet de « Picasso des églises » en exécutant des tableaux religieux et des vitraux destinés à la décoration des lieux de culte et l’édification de la communauté sur des valeurs qu’il piétinait lui-même.

Ces œuvres, dont la valeur prête à discussion, sont désormais bien encombrantes. S’il est facile de décrocher les toiles, dont le maintien pourrait faire croire à une complicité ou une approbation tacite des autorités religieuses, le démontage éventuel des vitraux, qui relèvent des mairies, propriétaires des bâtiments religieux, est plus compliqué. Éternelle discussion entre l’artiste et l’œuvre. Faut-il brûler le manuscrit du voyage au bout de la nuit parce que Céline était un être détestable ? Il ne semble pas que le père Ribes ait atteint un niveau de génie artistique comparable, même de loin, avec celui de Picasso. Le seul génie qu’on doive lui reconnaître serait, malheureusement, un génie du mal, et une aptitude à la dissimulation de ses forfaits. Lui qui peignait des angelots en profitait pour faire poser les enfants dévêtus et leur imposait par la ruse ou par l’autorité des comportements inadmissibles. Les regrets et les remords tardifs de l’église, voire ses compensations financières, ne répareront pas le terrible préjudice subi par les victimes. Peut-on seulement espérer que de tels faits ne puissent plus se reproduire ?