Moyennes

Taille : moyenne, nez : moyen, signes particuliers : néant. Pendant longtemps, cette absence de singularité était considérée comme le signe d’une existence paisible, à l’abri des excès et des tracas quotidiens, une sorte d’idéal : pour vivre heureux, il fallait vivre caché. La chanteuse yéyé à couettes des années 60, Sheila, se définissait comme une « petite fille de Français moyen ». On plaignait les pauvres et l’on jalousait à peine les riches, qui appartenaient à un milieu inaccessible, celui de la haute finance et du patrimoine immobilier. Mais voilà que les classes dites moyennes sont devenues un enjeu électoral et que leur seule définition ne va pas de soi.

Le premier élément et le plus évident concerne le salaire. Il existe au moins deux modes de calcul, selon que l’on considère la moyenne, le total des gains divisé par le nombre de personnes, ou la médiane, le montant qui sépare la population en deux groupes d’égalité numérique. Le salaire net médian se situe juste en dessous de la barre des 2000 euros choisie par le gouvernement pour attribuer la prime de vie chère de 100 euros. Le salaire moyen quant à lui est légèrement supérieur à 2400 euros mensuels. Ce qui veut dire que les pauvres sont plus nombreux que les riches, ce que l’on constate par ailleurs. L’astuce consiste à attirer l’attention sur les revenus moyens pour éviter de montrer les écarts phénoménaux entre très riches et très pauvres. Écarts qui s’amplifient évidemment de façon exponentielle si l’on rentre dans le calcul le patrimoine, notamment immobilier, majoritairement détenu par la fraction la plus aisée, assimilée abusivement à la classe moyenne.

Lorsque les reporters de l’émission Envoyé Spécial ont suivi deux familles présentées comme « moyennes » et qui disent avoir du mal à conserver leurs habitudes de consommation du fait du renchérissement de la vie, beaucoup de téléspectateurs se sont étranglés. Pour eux, des gens qui ont un budget approchant les 4 000 euros mensuels, le seuil avancé par François Bayrou pour faire partie de la classe moyenne, ne sont pas à plaindre, même si leur « reste à vivre », comprenez le surplus de revenus quand on a payé l’essentiel, a diminué. C’est un fait indiscutable qu’il est plus difficile de se passer du nécessaire que du superflu, et que boucler ses fins de mois n’est déjà pas si mal. Cependant, le raisonnement selon lequel ce seraient toujours les classes moyennes qui font les frais des difficultés sociales et sont mises à contribution, voire « étranglées par les impôts », ce raisonnement, typiquement de droite, a la vie dure. Il trouve sa justification dans le laxisme qui entoure ce que l’on appelle pudiquement l’optimisation fiscale, pour cacher (mal) une véritable évasion fiscale quand ce n’est pas carrément de la fraude fiscale. Ce phénomène, qui sévit ouvertement au niveau des entreprises multinationales, est aussi à l’œuvre au plan individuel. La justice sociale commence pourtant par la justice fiscale.