Merry christmas !

Conservez bien le titre de cette chronique, écrite la veille d’un Noël un peu particulier avec la montée de la recrudescence d’un virus qui n’en finit pas de se répandre comme la misère sur le bas-clergé breton, il pourrait valoir cher un jour. Ce « joyeux noël », que rien ne prédisposait à prendre de la valeur, qui était même de la plus totale banalité, a pu être vendu pour la modique somme de 107 000 euros, pour la simple et bonne raison qu’il s’agit du texte du premier SMS (short message system) envoyé avec de l’avance, à tous points de vue, le 3 décembre 1992 par Vodaphone à l’un de ses collaborateurs.

Cette vente aux enchères organisée en France n’a été rendue possible que par un artifice technologique qui a permis de reconstituer cet évènement, par nature éphémère puisqu’immatériel, pour en faire une réplique exacte sous forme de fichier informatique unique et authentifié par un certificat. L’heureux possesseur de cet objet de collection sera donc le seul à détenir les droits de propriété de « l’objet » en question, dont il pourra faire l’usage qu’il désire, comme s’il s’agissait d’une chose concrète. Le format numérique de ce support est connu sous le nom de NFT, non-fungible token, jeton non fongible, également utilisé pour les échanges commerciaux en cryptomonnaie. Si bien que nous pourrions assister à un remake du Tiers-Livre de François Rabelais, où il raconte l’histoire d’un portefaix qui se délectait du fumet de poulets en train de rôtir en mangeant son quignon de pain, et du rôtisseur qui prétendait lui faire payer l’odeur. L’affaire avait été tranchée par un fou fort sage qui avait fait payer l’odeur des poulets par le son des pièces du portefaix.

Notre monde est de plus en plus virtuel, avec des notions parfois très utiles, comme l’inscription au patrimoine immatériel de l’humanité de certains lieux, décors ou paysages, chargés d’espoirs, mais aussi une marchandisation effrénée y compris de biens intangibles, achetés et vendus en une sorte de monnaie de singe, qui ne repose, comme la monnaie officielle, que sur une convention entre ses utilisateurs, et le maintien d’une confiance mutuelle qui peut disparaitre soudainement comme en 1929. La tendance s’est étendue au marché de l’art, un domaine idéal pour la spéculation, où une œuvre peut prendre ou perdre une valeur astronomique en peu de temps. Des œuvres entièrement numériques ont ainsi pu être vendues à des collectionneurs, le record revenant à un artiste américain, Beeple, dont la « toile » a été adjugée à plus de 69 milliards de dollars en mars dernier. La bonne nouvelle dans le cas du premier texto de l’histoire, c’est que les fonds provenant de sa vente seront reversés au Haut-Commissariat des Nations-Unies pour les réfugiés. Quant à la mauvaise, vous la connaissez, c’est que cela ne suffira pas, et de loin, à adoucir le Noël des réfugiés, notamment climatiques.