Le cancre

Sans doute connaissez-vous ce poème de Jacques Prévert, qui commence ainsi :

« Il dit non avec la tête, mais il dit oui avec le cœur, il dit oui à ce qu’il aime, il dit non au professeur »

Ce sont ces mots qui me sont revenus spontanément à la mémoire en entendant le discours d’Éric Moulins-Beaufort, le président de la Conférence des évêques de France à Lourdes, discours par lequel l’église acceptait de reconnaître sa responsabilité dans les crimes de violence et d’agressions sexuelles depuis plus de 70 ans.

Comme le cancre de Prévert, les évêques ont un double discours. On a bien entendu celui de la raison, celui de la tête, exprimant des regrets plus ou moins sincères. De même que le Pape François a déclaré avoir eu « honte » en apprenant les faits dénoncés par le rapport Sauvé, comme s’il pouvait les ignorer auparavant. Sans doute a-t-il été surpris par l’ampleur du phénomène, qui a contraint la hiérarchie tout entière à faire amende honorable. Mais le cœur, lui, n’y était pas. Le prélat français a prononcé les mots, mais l’émotion était absente. On connait bien ce phrasé ampoulé, cette onction toute monacale ou jésuitique, qui dépouille l’expression religieuse de tout affect, au nom d’une instance supérieure dont le prêtre se croit le représentant. Mais les fidèles attendent autre chose, de l’ordre de la consolation, et les mécréants comme moi ne peuvent se satisfaire d’une reconnaissance du bout des lèvres. Les victimes et les associations qui les représentent ne s’y sont pas trompées en ne faisant pas le déplacement pour entendre le mea culpa formel de l’église de France. Pour elles, l’essentiel est ailleurs. Reconnaître ses erreurs, c’est bien, mais ce n’est pas suffisant. Comment l’église, en France et dans le monde, jusqu’au sommet de l’institution à Rome, compte-t-elle s’y prendre pour empêcher que de tels actes se reproduisent à l’avenir ? Il ne suffira pas de faire un acte de contrition, voire de pénitence, pour réformer en profondeur le fonctionnement ecclésiastique et empêcher ses dérives.

Il restera également toute la question de la réparation. Rien ne pourra vraiment « réparer » les dommages que les victimes ont subis. Contrairement au titre du roman de Maylis de Kerangal, on ne peut pas « réparer les vivants ». On peut remplacer des organes, on ne peut pas effacer des traumatismes. Au moins faut-il les reconnaître, et l’église a admis que des indemnisations étaient dues à toutes les personnes qui ont souffert par sa faute, du fait du comportement de certains de ses prêtres ou de laïcs dont elle avait la responsabilité. Cette reconnaissance financière fait partie pour certaines victimes du passage obligé pour dépasser un épisode traumatique, tourner la page et tenter de se reconstruire, pour autant que ce soit possible.