Les illusions perdues

Dans le film adapté de Balzac sorti récemment sur les écrans, Lousteau, le rédacteur en chef du journal, utilise une expression attribuée à Yvan Audouard : « une fausse nouvelle plus un démenti, cela fait deux informations pour le prix d’une ». De nos jours, la version moderne de la rumeur, s’appelle comme il se doit d’un anglicisme et prend le nom de « fake news ». Et elle ne fait plus guère vendre de papier, mais elle génère des clics synonymes de recettes publicitaires. La machine médiatique s’est encore emballée cette semaine avec l’affaire du « pullgate ».

Petit rappel des faits au cas où ils auraient échappé à votre sagacité légendaire. Mercredi, un article de presse annonce que l’armée française aurait passé commande de pulls chinois, au détriment d’une entreprise française du Tarn. L’armée aura beau publier un démenti, précisant que l’appel d’offres avait été remporté par deux marques hexagonales, Saint James et Léo Minor, les candidats à l’élection présidentielle vont réagir à ce qui n’est alors qu’une erreur de la rédaction de France Bleu Occitanie. Le premier à dégainer c’est Jean-Luc Mélenchon, suivi de près par Xavier Bertrand et Marine Le Pen. Sans oublier, naturellement, Arnaud Montebourg, dont le made in France est le fonds de commerce et qui vole au secours de la marque Regain, qui n’a pourtant pas été spoliée en quoi que ce soit et a même remporté un autre marché, conséquent, avec l’armée. Mais notre monde moderne est ainsi fait qu’une fausse nouvelle se répand six fois plus vite qu’une vraie selon une étude, sérieuse, du Massachusetts institute of technology.

Toujours dans le film de Xavier Giannoli, le rédac’chef du Corsaire-Satan, Vincent Lacoste, étonnant, définit ainsi son métier : « enrichir les actionnaires » et il énonce la ligne éditoriale : « le journal tiendra pour vrai tout ce qui est probable ». On ne sait pas s’il faut admirer la clairvoyance d’Honoré de Balzac pour avoir pressenti ce qu’allait devenir le journalisme moderne, ou se désoler de constater à quel point rien n’a vraiment changé depuis le 19e siècle et combien les illusions que pouvait encore ressentir alors un jeune homme idéaliste étaient destinées à se perdre dans l’oubli et à rejoindre les paradis perdus chers à John Milton et à Christophe. Finalement, cette affaire de pulls chinois, montée en épingle, sera retombée aussi vite qu’elle aura surgi. Les ingrédients étaient présents, tels la moutarde, le sel, l’huile ou l’œuf, mais la mayonnaise n’a pas pris. Le public finirait-il par être blasé ? Tant va la cruche crier au loup qu’on finit par ne plus la croire ? À force d’être inondés de rumeurs invérifiables, les Français semblent mettre toutes les nouvelles dans le même sac, en n’y croyant qu’à moitié sans toujours pouvoir discerner le vrai du faux.