Les petits pois et la Constitution

Entre Nicolas Sarkozy et les magistrats, cela n’a jamais été un long fleuve tranquille. Déjà en 2007, il les traitait de « petits pois » tous issus du même moule, tous identiques avec « la même couleur, le même gabarit, la même absence de saveur ». Un verdict très injuste pour un légume parfois méconnu, mais qui peut être savoureux, pour peu que l’on sache l’accommoder et qu’on le choisisse avec soin. Tout en clamant son attachement à l’institution judiciaire, il n’a jamais manqué une occasion de la décrier chaque fois qu’elle faisait son travail.

C’est ainsi que l’ancien président, contraint et forcé de venir témoigner dans l’affaire des sondages de l’Élysée, a prétendu qu’il respectait trop la justice pour s’y soustraire, tout en affirmant que sa citation à comparaître était « anticonstitutionnelle » et « totalement disproportionnée ». On pourrait croire qu’en qualité de membre de droit du Conseil Constitutionnel comme ancien président de la République, Nicolas Sarkozy pouvait prétendre à une certaine légitimité en la matière. Ce serait oublier plusieurs choses. Il n’a siégé que rarement au Conseil et uniquement sur des questions préalables de constitutionnalité, avant de renoncer à exercer son mandat, car il était lui-même impliqué dans l’affaire des comptes de la campagne de 2012, que le Conseil avait rejetés, confirmant la décision de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques. De plus, le Conseil Constitutionnel est une instance collégiale, dont aucun des membres ne détient à lui seul la légitimité, et je ne pense pas que Nicolas Sarkozy ait hérité d’une quelconque infaillibilité en la matière.

Mais l’ancien Président n’en démord pas. Selon son interprétation, le principe de séparation des pouvoirs l’empêche de répondre à la moindre question concernant sa gestion des affaires de l’État. Remarquons que la séparation ne fonctionne que dans un seul sens : le garde des Sceaux peut toujours envoyer ses directives aux magistrats et définir la politique pénale du Président. On arrive à une situation surréaliste où les exécutants pourraient être condamnés pour avoir engagé des dépenses de sondages sans justifications ni appels d’offres, tandis que le principal, voire unique, commanditaire, non seulement échapperait au jugement, mais ne pourrait même pas témoigner et faire reconnaitre éventuellement sa bonne foi. Nicolas Sarkozy a donc consacré une heure de son temps précieux à expliquer pourquoi il ne répondrait à aucune question, alors que le président du tribunal, imperturbable, demandait les explications et notait les non-réponses. Ce nouvel épisode judiciaire met en évidence une incohérence dans le statut juridique du chef de l’état, qui mériterait un toilettage pour clarifier la situation. Que le président de la République soit protégé durant son mandat pour éviter la paralysie de l’exécutif est probablement nécessaire, mais il devrait répondre de ses actes a posteriori, comme tout justiciable.