Le sniper

L’image a fait le tour des rédactions. On y voit Éric Zemmour pointer un fusil d’assaut en direction des journalistes au cours de sa visite au Milipol, le salon de l’armement, avec un grand sourire, estampillé « je blague, évidemment ». La plupart des journaux et des chaînes d’information continue étaient partagés sur l’intérêt de donner un écho à cette nouvelle provocation du probable candidat, quand Marlène Schiappa a cru de son devoir de répondre à cette imbécilité par une autre en feignant de prendre ce geste au premier degré.

Ce qui a permis au polémiste, professionnel, quant à lui, de se tirer de ce qui aurait pu être un mauvais pas. Car l’entourage d’Éric Zemmour, et surtout sa principale conseillère, était en rage de voir son protégé transgresser les consignes de ne surtout pas se faire photographier avec une arme à la main, pour éviter un amalgame possible. Il a eu beau jeu de répondre à la ministre qu’elle ne comprenait rien à l’humour, ce qui est, malheureusement pour elle, un truisme. Et pourtant, l’image révélait une vérité. Zemmour n’est rien d’autre qu’un tireur isolé, qui, contrairement à ce qu’il voudrait faire croire, n’est pas un tireur d’élite, mais plutôt un tireur fou, qui tire sur tout ce qui bouge, sans se soucier des conséquences. C’est en montant en épingle le moindre de ses faits et gestes que la presse favorise son image de transgression, qui lui donne un intérêt pour les nombreux mécontents que le système fabrique. À chaque élection il y a un certain nombre d’insatisfaits qui espèrent trouver un candidat anti-système qui pourrait renverser la table et changer la donne, mais leur espoir est toujours déçu quand il s’agit mettre en place un programme et se confronter à l’épreuve de la réalité.

Avec Zemmour, on n’en est même pas encore là. Le non-candidat se contente d’esquiver les sujets concrets avec des pirouettes, remettant les solutions aux calendes pour valoriser les thèses anti-immigration, racistes et homophobes pour lesquels il a déjà été condamné. Ses sondages les plus favorables l’ont crédité de 15 ou 16 % d’intentions de vote, ce qui laisse une immense majorité qui ne le soutient pas. Je pourrais comparer son parcours à l’exercice qui consiste à rouler sur un vélo à pignon fixe. Tant que l’on pédale, le vélo avance, mais on tombe inexorablement si l’on s’arrête. Zemmour est donc obligé de faire le buzz, mais la presse n’est pas tenue de reprendre ses propos, même quand une ministre tombe dans le panneau. Avec ce fusil, Zemmour joue au sniper, comme un sale gosse à qui l’on doit expliquer que c’est très malpoli de pointer du doigt, et qu’un enfant bien élevé ne doit pas le faire.