Mots croisés

Le secret avait été bien gardé sur le nom du futur parti créé samedi dernier par l’ancien Premier ministre Édouard Philippe depuis sa bonne ville du Havre dont il est le maire. Le faux suspense destiné à créer un sentiment d’attente a pris fin et le patronyme a été révélé par son fondateur : il s’agit donc d’« Horizons », ce qui correspond à une nouvelle mode de dénomination dans laquelle n’apparaît plus le mot parti ni la désignation de ses membres. D’ailleurs, comment va-t-on les appeler ? Les Horizontaux ? Les Philippins ? Les Philippistes ?

Le mot horizon se veut grand ouvert sur des perspectives vastes. Rappelons la définition du Larousse : « ligne imaginaire circulaire dont l’observateur est le centre et où le ciel et la terre (ou la mer) semblent se confondre ». Pour l’instant, ce parti, s’il n’est pas imaginaire, est quand même virtuel, et son existence dépend du point de vue de l’observateur. Nous savons intellectuellement que la Terre est ronde, bien que beaucoup de nos concitoyens préfèrent se fier à leur (courte) vue plutôt qu’à la Science, mais l’horizon, circulaire pour respecter la courbure de la Terre, nous apparaît comme une ligne droite. Une ligne horizontale, justement, mais qui possède une particularité, c’est de s’éloigner au fur et à mesure que l’on s’en approche. Serait-ce un présage de son action future ? Et le rêve élyséen de son inspirateur est-il condamné à s’éloigner en dépit de ses efforts pour l’atteindre ?

Vous aurez remarqué que le terme horizon est ici affublé d’une marque du pluriel. Nous avons échappé de justesse à la mode de l’écriture inclusive qui nous aurait gratifiés d’horizon. e. s, rendant totalement obscur un concept déjà peu clair. Quoi qu’il en soit, Horizons, avec une esse, suggère que les partisans d’Édouard Philippe ne vont pas se contenter d’un objectif unique, mais ouvrir grands leurs yeux dans tous les azimuts. Symboliquement, après un quinquennat très jupitérien, très « vertical », où l’autorité vient d’en haut, il suggère que le fonctionnement de l’état sera plus démocratique, plus horizontal, ce qui est pourtant l’opposé de l’image qu’il renvoie. Précisément, la publicité essaie toujours de masquer les défauts du produit en les faisant passer pour des qualités. Ce pluriel est-il destiné à le démarquer de la station de radio « Horizon » qui se définit comme la première radio libre de Normandie, sa région d’origine, un robinet à tube très voisin des modèles de radios associatives du passé ? Mais Édouard Philippe n’est-il pas lui-même le prototype des politiciens à l’ancienne mode, avec des « idées » politiques poivre et sel comme sa pilosité, semblant sorti tout droit de sa naphtaline avec son sempiternel costume croisé, comme les mots dans les grilles du même nom ?