Les prénoms

Le polémiste, futur candidat à l’Élysée dont je vous parlais avant hier, a trouvé un sujet susceptible de frapper l’opinion en s’en prenant aux prénoms « étrangers » qu’il souhaiterait interdire en revenant à la loi de 1803, abrogée en 1993. Ce dada, ce n’est pas d’aujourd’hui qu’il l’enfourche puisqu’il reprochait son prénom à Hapsatou Sy dès 2018, considérant qu’il aurait préféré Corinne, car Hapsatou serait « une insulte à la France ». Il récidive en déclarant qu’« appeler son enfant Mohamed c’est coloniser la France », rien de moins. Pour faire bon poids, il s’en prend aussi à la mode des Kévin et des Jordan, qui devraient également être interdits.

Cela ne trompe personne. Les prénoms honnis sont ceux de la civilisation arabo musulmane ou africaine et traduisent l’aversion de l’auteur de cet oukase à l’égard des étrangers et le racisme pour lequel il a déjà été condamné. S’il s’agissait de critiquer la tendance récente à donner des prénoms originaux à tout prix, par exemple en modifiant une lettre pour se singulariser, je pourrais partager cette observation et noter le ridicule achevé de certains choix, que les enfants sont condamnés à supporter leur vie durant. C’est le sujet même de la pièce de théâtre et du film qui en a été tiré, le prénom, où un couple fait croire à ses proches qu’ils vont appeler leur fils à naître, Adolphe, comme le héros de Benjamin Constant, tandis que tout le monde pense évidemment à Hitler. C’est pourtant un joli nom chrétien, qui n’a comme tort que d’avoir été porté par un dictateur. Que dire alors des prénoms des enfants des autres protagonistes de la pièce, Apollin et Myrtille ?

En abrogeant la loi de 1803, le législateur a ouvert la boîte de Pandore et laissé libre cours à l’imagination des parents. Il a toutefois institué un garde-fou. L’officier d’état civil peut saisir la justice s’il estime que le prénom choisi peut porter préjudice à l’enfant. On se souvient du refus du prénom Mégane pour une petite fille dont le nom de famille était Renault. Par contre, les prénoms régionaux, notamment bretons, ont ainsi pu gagner un droit de cité parfaitement légal ce que je considère comme un progrès. Dommage que certains caractères dits « diacritiques » soient toujours contestés comme le tilde sur le n de Fañch ou le c’h de Derc’hen. Quoi qu’il en soit, le choix du prénom exprime un désir, une projection des parents à un moment de leur vie, et il n’est pas sans conséquence sur l’existence de celui qui le porte avec les espoirs des générations qui l’ont précédé. Chacun pense être libre de son choix, mais s’aperçoit rapidement que beaucoup d’autres personnes ont fait le même. Et à l’arrivée, un tiers des enfants auraient préféré s’appeler différemment.