Apocalypse now

C’est l’image que les États-Unis voulaient absolument éviter : faire de l’évacuation de Kaboul la réédition de la chute de Saïgon le 30 avril 1975, qui mettait un terme à la guerre du Vietnam en actant la défaite militaire des Américains ainsi que leur échec sur le plan idéologique. Ils ont pu maintenir un temps la fiction d’une évacuation en bon ordre en donnant l’impression de contrôler tant bien que mal la situation. L’attentat meurtrier perpétré aux portes de l’aéroport a précipité le secteur dans un chaos meurtrier, emportant avec lui les espoirs d’une population qui voulait à tout prix fuir le nouveau régime.

Cette fois, les États-Unis ont abandonné la doctrine qui faisait d’eux, plus ou moins officiellement, les gendarmes du monde. Tout en les critiquant parfois, les principaux dirigeants occidentaux s’accommodaient très bien de cette situation de fait, s’abritant sous le parapluie nucléaire des Américains, et s’épargnant ainsi, notamment en Europe, la nécessité de construire une véritable défense commune. Après le 11 septembre 2001 et les attentats frappant les tours jumelles du World Trade Center, les USA s’étaient arrogé un droit de suite leur permettant de poursuivre militairement leurs agresseurs, y compris dans des pays supposés souverains, quitte à trafiquer quelque peu les preuves pour justifier leurs positions guerrières. Les arrière-pensées économiques n’étaient pas non plus absentes des motivations militaires au Proche et Moyen-Orient, avec leurs réserves pétrolières. Le changement de doctrine peut être daté avec précision : c’est le 30 août 2013 que le président Obama va prendre une décision qui marquera le début du désengagement américain.

En 2012, Barak Obama avait justifié l’absence d’intervention contre le dictateur syrien Bachar el Asad en traçant une « ligne rouge », à ne franchir sous aucun prétexte, celle de l’utilisation par le régime d’armes chimiques contre son peuple. Alors chacun s’attendait à des frappes aériennes quand des preuves irréfutables avaient été produites l’année suivante contre « Ali le chimique » notamment. La France et l’Angleterre se tenaient prêtes à soutenir une intervention de la coalition, mais la montagne avait accouché d’une souris. Barak Obama, encore traumatisé par la guerre du Vietnam, peu convaincu par les guerres du Golfe, renonçait unilatéralement aux représailles annoncées, et sauvait ainsi la mise au dictateur syrien, qui finira par l’emporter avec le soutien de Wladimir Poutine, son alter ego russe. À partir de ce moment, le semblant d’ordre mondial a fait long feu. Donald Trump s’en tiendra à sa doctrine « America first » et son successeur, Joe Biden, entérine le retrait américain. On ne regrettera pas l’interventionnisme tous azimuts des USA, notamment les républiques bananières et les gouvernements fantoches d’Amérique centrale ou du Sud, mais leur absence laisse un vide qui souligne l’incapacité d’organismes comme l’ONU à arbitrer les conflits. Désormais, l’apocalypse menace partout.