Une goutte d’eau dans la mer

Des personnages politiques friands de se faire mousser, comme le candidat déclaré de la droite, Xavier Bertrand, en pleine précampagne présidentielle, ont sauté sur l’occasion : ils dénoncent la présence parmi les réfugiés afghans d’éventuels infiltrés qui auraient saisi l’opportunité de la période troublée que connait leur pays pour se mêler aux authentiques personnes menacées que la France a déjà exfiltrées. Il y en aurait cinq en tout et pour tout, dont un qui a été placé en garde à vue pour s’être soustrait à son obligation de résidence depuis son entrée sur le sol français.

Cinq suspects, donc, et qui font l’objet d’une surveillance des services de sécurité, sur les quelques 2 000 rapatriés revendiqués par le ministre des Affaires étrangères, et cela suffit à Xavier Bertrand, qui bénéficie du renfort de l’extrême-droite, elle aussi très prompte à réagir et à demander la suspension du droit d’asile et l’expulsion immédiate des personnes soupçonnées, dans une procédure « d’urgence absolue ». Le candidat potentiel agite évidemment le spectre d’un attentat terroriste pour justifier sa position, en oubliant volontairement que beaucoup des menaces proviennent de l’intérieur et non de l’étranger. À contrario, le risque est peut-être moindre de voir des personnes se sachant surveillées passer à l’acte, plutôt que des inconnus de nos services, qui se radicalisent sur Internet en toute discrétion et décident d’aller agresser quelqu’un au hasard avec un banal couteau de cuisine. Le risque éventuel, dans un cas comme dans l’autre, doit être calculé de façon à le minimiser. Ceux qui prônent la reconduite aux frontières des Afghans au nom d’un principe de précaution dissimulent mal leurs véritables motivations, qui sont d’exacerber la méfiance, voire la haine des étrangers, et d’instrumentaliser la xénophobie à des fins électorales.

Pour se prémunir d’un risque d’attentat terroriste, la France devrait renoncer à tous ses principes, déjà mal en point, d’accueil et d’aide aux plus démunis. Notre réputation de générosité et d’altruisme, qui se révèle dans les cas de catastrophe naturelle ne résisterait pas à la démagogie et aux discours intéressés de certains politiciens ? D’autant plus que notre contribution à l’élan de solidarité qui devrait permettre de sauver le peuple afghan de la barbarie du nouveau pouvoir n’est, hélas, qu’une goutte d’eau dans la mer. Comme d’ailleurs celle des États-Unis et des autres nations occidentales. Nous allons sauver quelques dizaines de milliers d’Afghans, et abandonner à leur triste sort les 40 millions de personnes qui subiront le joug des talibans et de leurs lois scélérates. C’est d’autant plus cruel que nous avons fait miroiter l’espoir d’une société plus ouverte, plus démocratique, sans réussir à éviter la corruption et les abus de pouvoir qui gangrènent la plupart des régimes postcoloniaux. Si nous n’avons pas le pouvoir d’établir de force une véritable démocratie en Afghanistan, au moins pouvons-nous sauver l’honneur en accueillant dignement ceux qui doivent fuir leur pays sous la contrainte.