La liberté guidant le peuple

Ce célèbre tableau de Delacroix est une des pièces maitresses des chefs-d’œuvre exposés au Musée du Louvre. Inspiré de la révolution contre la monarchie de juillet, il symbolise le soulèvement populaire contre un pouvoir injuste et a donné lieu à de nombreuses interprétations. C’est au nom de la liberté que se sont déroulées les manifestations contre l’obligation et la généralisation du pass sanitaire pour la troisième semaine consécutive. La comparaison vous paraîtra peut-être absurde, mais les manifestants qui scandaient « liberté, liberté ! » m’ont fait penser aux militants favorables à Trump qui clamaient « USA, USA ! » devant le Congrès américain.

Dans les deux cas, les partisans s’arrogent l’exclusivité d’une valeur commune, dont ils seraient propriétaires exclusifs, ce qui est contraire au simple bon sens. Les électeurs de Joe Biden ne sont pas plus antiaméricains que les partisans de la vaccination ou du pass sanitaire ne seraient opposés aux libertés individuelles en général. La notion de liberté n’induit pas la disparition de toute limite. À peine est-elle citée dans notre devise nationale, qu’elle est accompagnée par celle d’égalité et celle de fraternité, qui lui donnent tout son sens, et rectifient une interprétation abusive qui permettrait à chacun de n’en faire qu’à sa tête. Il est évident que la vie en société impose de se donner des règles communes, qui certes limitent parfois l’exercice individuel de son bon-vouloir, ce que la sagesse populaire résume par la formule « la liberté individuelle s’arrête là où commence celle de son voisin », mais aussi permettent un « vivre ensemble » où chacun est protégé et bénéficie du respect de son bon droit.

Encore faut-il que l’autorité chargée de la mise en application de ces principes communs bénéficie d’une légitimité reconnue par ses administrés. Ce consensus est loin d’exister dans notre société. Les institutions semblent solides et reposent sur les principes de la démocratie représentative. Or, la participation aux élections ne cesse de diminuer, au point que les élus ne représenteront bientôt plus qu’eux-mêmes. Le respect formel des règles démocratiques aboutit au résultat paradoxal d’une incapacité à modifier ces règles devenues obsolètes, car cela reviendrait à scier la branche sur laquelle la classe politique est assise. La défiance envers l’état s’est étendue jusqu’aux corps les plus utiles, comme les soignants, les pompiers, les policiers et tous ceux qui le représentent. Il est frappant de constater que si une majorité de Français souhaite se faire vacciner, ils sont aussi 41 % à approuver les manifestations anti pass sanitaire. Ce mouvement, comme celui des gilets jaunes avant lui, agrège des oppositions disparates et reflète en partie l’exaspération de citoyens qui rejettent un autoritarisme des « élites », et la détestation du pouvoir en général et d’Emmanuel Macron en particulier.