À la guerre comme à la guerre

Je dois faire amende honorable sur un point au moins. Lorsque le président Macron a comparé la crise sanitaire du Covid-19 à une guerre, j’ai estimé, et je n’étais pas le seul, qu’il dramatisait volontairement la situation, afin de faire passer une pilule qu’il savait amère, celle de la restriction de nos libertés et pour renforcer son autorité pour toutes sortes de raisons, dont son ego n’était évidemment pas absent. Il ne s’est d’ailleurs pas privé d’utiliser le symbole de la réunion des ministres dans le bunker érigé sous le palais présidentiel quand il a senti le vent du boulet du mécontentement populaire.

Et cependant, les résultats économiques récents incitent à la comparaison avec l’état de guerre par leur aspect paradoxal. Contrairement à ce qui pouvait être attendu, non seulement le chômage n’a pas explosé, mais les chiffres indiquent une légère diminution du nombre de travailleurs sans aucun emploi. Parallèlement, les faillites n’ont pas augmenté, malgré une activité réduite dans de nombreux secteurs, et certaines d’entre elles ont été reportées, voire annulées par les aides gouvernementales. Tant et si bien que les prévisions de croissance pour l’année en cours ont dû être revues à la hausse. Tout se passe comme si nous sortions d’une période de guerre, destructrice de richesse dans un premier temps, puis pourvoyeuse d’une demande renouvelée. Karl Marx avait échafaudé une théorie selon laquelle les guerres qui se produisaient régulièrement entre états capitalistes étaient une façon de réguler les crises économiques cycliques, elles-mêmes liées à la baisse tendancielle du taux de profit. L’exemple le plus parlant étant la 2e guerre mondiale, faisant suite à la grande dépression de 1929.

Si donc la crise sanitaire équivaut à une sorte de guerre par les dégâts qu’elle a pu causer, ses conséquences sont loin d’être uniformes. Comme d’habitude, les inégalités sociales en sortent aggravées. L’épargne obligée des plus hauts revenus leur a permis de « faire des petits » qui sont réinvestis et accroissent leur patrimoine, notamment immobilier, tandis que les petits salaires rattrapent simplement leur consommation différée. Et encore sont-ils touchés par une certaine inflation et l’augmentation des produits de consommation courante comme le gaz ou l’électricité. De leur côté, les industries du luxe n’ont jamais été plus florissantes et une entreprise comme Pfizer engrange des profits records grâce au succès de son vaccin. Le monde en général, et la France en particulier, va donc pouvoir repartir sur des bases inégalitaires renforcées, à l’exception d’un phénomène dont on avait perdu l’habitude : la pénurie de main-d’œuvre dans certains secteurs d’activité, comme la restauration par exemple. Avec son corollaire, une tension sur le niveau de salaire, comme pendant les trente glorieuses, où le travail ne manquait pas. Cela suffira-t-il à rééquilibrer les rapports de forces sociales ? rien n’est moins sûr.