Souriez, vous êtes espionnés

Enfin, pas vous personnellement, ni moi d’ailleurs, probablement. Vous n’êtes, pas plus que moi, suffisamment connu pour que vos conversations privées, vos contacts, vos photos les plus personnelles, soient l’objet de l’attention des gouvernements de pays réputés amis, mais qui se comportent comme des paparazzi en violant l’intimité de personnalités jugées importantes. Nous avons en effet appris que des milliers de téléphones de par le monde, appartenant à des journalistes ou des politiques ont été piratés à l’aide d’un logiciel mis au point par une société israélienne. Le « cheval de Troie » incriminé porte le nom poétique de Pegasus, comme le cheval ailé de la mythologie.

Ce logiciel espion était en principe réservé à la lutte contre le terrorisme et n’était en aucun cas destiné à espionner les particuliers. Vœu pieux, naturellement. Aucune mesure ne peut garantir qu’un outil tel que celui-là, très difficile à détecter pour un simple particulier, ne sera pas utilisé à mauvais escient, et c’est évidemment ce qui s’est produit. Des membres d’associations de défense des droits de l’homme se sont retrouvés plus fréquemment que d’autres parmi les « bénéficiaires » de cette surveillance manifestement illégale. Un chef d’État serait parmi les victimes de cet espionnage, ce qui en dit long sur le niveau de sécurité des instances du pays concerné, sans compter ceux qui sont ignorés, mais bien actifs. Quant aux commanditaires, la liste révèle des surprises. La France, par exemple ferait l’objet d’une surveillance active du Maroc, qui dément catégoriquement.

Les états se marquent « à la culotte », comme on dit, depuis toujours. Il arrive ponctuellement que des services de renseignement coopèrent entre eux, mais la plupart du temps, les alliés s’espionnent autant que les adversaires. Il suffit de se souvenir des affaires retentissantes comme les Wikileaks ou les alertes lancées par Edward Snowden pour s’en convaincre. Tout le monde espionne tout le monde, ce qui est peut-être le seul moyen, comme pour l’armement nucléaire, de garantir une certaine transparence, grâce à une forme d’équilibre de la menace. Il serait à mon avis illusoire d’interdire l’utilisation du logiciel israélien et de faire appel aux bons sentiments des uns et des autres, comme le réclame par exemple Amnesty international. La surveillance mutuelle continuera avec des moyens différents, voilà tout. On n’empêchera jamais les gouvernements, a fortiori ceux des pays qui se soucient peu de démocratie et de libertés individuelles, de s’assurer de leur pouvoir sur les populations, tout en surveillant autant que possible ce que font leurs voisins, amis ou non. La plupart des activités secrètes dans un pays comme les États-Unis, pour ne citer que cet exemple, sont déployées sans en informer forcément et dans le détail leur chef suprême, qui préfère ne pas savoir dans la mesure où ce ne serait pas indispensable, pour s’en indigner sincèrement en cas de besoin.