L'esprit des lois

Depuis Montesquieu, et ce qu'il est convenu d'appeler le siècle des lumières, il est d'usage de distinguer trois pouvoirs, dont dépend l'équilibre démocratique d'une société : le pouvoir législatif, le pouvoir exécutif et le pouvoir judiciaire. On a parfois ajouté un quatrième pouvoir, celui de la presse, qui ferait plutôt partie des contre-pouvoirs, tout aussi nécessaires à l'exercice démocratique. Pour les besoins d'une cause toute personnelle, et au détour d'une phrase en conseil des ministres, le président de la république actuel a décidé de s'affranchir de ces principes en qualifiant le pouvoir judiciaire d'être une simple « autorité ».

La raison de cette révolution copernicienne d'un système de pensée largement admis et reconnu dans le monde, bien que rarement appliqué pleinement, tient dans son embarras vis-à-vis des soucis judiciaires de son propre Garde des Sceaux, soupçonné de prise illégale d'intérêts, en réglant des comptes entamés dans sa fonction précédente d'avocat. La ligne de défense d’Éric Dupont-Moretti consiste à se draper dans la dignité outragée de sa charge en accusant les magistrats d'empiéter sur les fonctions exécutives pour désigner eux-mêmes le ministre de la justice, ce qui est, à l'évidence, faux. En rabaissant le pouvoir judiciaire, Emmanuel Macron s'affranchit du contrôle nécessaire des gouvernants, alors que le pouvoir législatif a déjà abdiqué toute velléité de s'opposer au pouvoir présidentiel en votant comme un seul homme selon les vœux du chef de l'état. La conséquence de cette concentration des pouvoirs dans les mains d'un seul homme qui ne rend des comptes au peuple qui l'a élu que tous les cinq ans, est un glissement vers le despotisme, que l'on qualifiera au mieux d'éclairé, si le monarque républicain daigne s'enquérir de l'avis de ses administrés.

Si, comme il est probable, Éric Dupont-Moretti est mis en examen, il comparaîtra devant la Cour de Justice de la République, une instance créée en 1993 au moment de l'affaire du sang contaminé, composée de magistrats et de parlementaires. Deux députés, un de la République en marche et l'autre des Républicains, ont d'ores et déjà démissionné de leur mandat, pour éviter d'avoir à juger le garde des Sceaux , au motif qu'il n'aurait rien à se reprocher. C'est précisément la tâche de la CJR d’établir s'il y a matière ou non à sanctionner, quel que soit le mis en cause. Cette démission entache l'institution dont ils faisaient partie d'un soupçon de partialité, qui ne les avait nullement gênés jusque-là. S'il peut y avoir traitement de faveur, la composition de la CJR pencherait vers l'indulgence envers l'exécutif, ce qui pousserait à traiter les ministres devant une cour « ordinaire », comme tout autre justiciable, en cas de manquement à leurs obligations dans l'exercice de leur fonction.